La start-up californienne Uber est entrée en Bourse vendredi un mois après avoir rendu publics pour la première fois ses résultats financiers. Cela en dit long sur cette entreprise qui a bouleversé le paysage de la mobilité urbaine.
Uber a levé 8,1 milliards de dollars pour son introduction en Bourse du vendredi 10 mai. Les premiers pas à Wall Street du roi de la réservation de voitures avec chauffeur (VTC) étaient très attendus car le groupe californien a longtemps été la start-up ayant récolté le plus d'argent d'investisseurs.
Surtout, cette première journée de cotation doit démontrer si les marchés ont été convaincus par les documents financiers légaux fournis par Uber aux autorités boursières, début avril. C'était la première fois que cette entreprise à l'histoire mouvementée, marquée par des controverses à répétition, levait le voile sur sa santé économique et partageait avec le grand public sa vision de son futur.
La remise des documents légaux à la Security Exchange Commission (SEC, gendarme américain de la Bourse) apportent aussi une vue d'ensemble sur la santé économique d'Uber, fondée en 2009. Ils contiennent non seulement le détail des résultats financiers depuis deux ans, mais aussi pléthore d'informations et de détails sur le fonctionnement du groupe et sa stratégie. Elles brossent le portrait d'une entreprise qui, malgré 91 millions d'utilisateurs mensuels, n'a toujours pas réussi à trouver la formule pour faire des profits, est fortement handicapée par de nombreuses casseroles, et dont l'introduction en Bourse va rendre des riches encore plus riches aussi bien aux États-Unis qu'au Japon ou encore en Arabie saoudite.
Des profits, peut-être un jour
Mauvaise nouvelle pour les futurs investisseurs : Uber a perdu 1,8 milliard de dollars en 2018. Leurs dividendes, qui dépendent des profits, risquent de ne pas être au rendez-vous. Du moins si le groupe ne réussit pas à inverser la tendance.
Uber semble cependant être sur la bonne voie puisque les pertes enregistrées en 2017 s'élevaient à 4 milliards de dollars. Son chiffre d'affaires a aussi progressé de 42 % en 2018 pour atteindre 11,3 milliards de dollars.
Néanmoins, Dara Khosrowshahi, le PDG d'Uber, ne semble pas pressé de satisfaire les actionnaires. Il assure, dans une lettre jointe en introduction aux documents financiers, "être prêt à faire des sacrifices financiers à court terme si cela signifie augmenter nos chances de faire davantage de profits à long terme". Dans la présentation de la stratégie d'entreprise, Uber renchérit en affirmant que les "dépenses opérationnelles risquent d'augmenter considérablement à l'avenir, ce qui pourrait nous empêcher de dégager des profits".
Le discours du patron d'Uber n'est pas sans rappeler celui de Jeff Bezos, le fondateur d'Amazon, qui avait demandé à ses actionnaires de faire preuve de patience pendant les années de vaches maigres, assurant que ses investissements finiraient par payer. Il a eu raison : Amazon a dégagé plus de 3 milliards de dollars de profits en 2018. Dara Khosrowshahi réussira-t-il à réitérer cet exploit ?
2017, année maudite
Uber détaille une longue liste de dangers pour son activité, que ce soit ses problèmes légaux dans certains pays (dont la France), ses concurrents directs (Lyft, Bolt, etc.) ou encore le risque de voir ses chauffeurs réclamer d'être traités comme des salariés et non plus comme des travailleurs indépendants. Il y a cependant une date qui revient souvent : 2017.
Cette année-là, Travis Kalanick, encore à la tête du groupe, tentait tant bien que mal de sauver la réputation de l'entreprise qu'il avait fondée. Uber était accusé d'avoir essayé de corrompre des policiers en Asie, d'avoir utilisé un logiciel espion permettant de suivre les déplacements de tous ses clients, et plus généralement de faire trop souvent fi des règles locales pour s'imposer face à ses concurrents. Mais surtout, Uber était la cible d'un nombre croissant de critiques détaillant un environnement professionnel toxique… surtout pour les femmes. La responsabilité de Travis Kalanick lui-même était pointée du doigt dans ce dossier qui a donné lieu à plusieurs plaintes pour harcèlement sexuel.
Le controversé PDG avait finalement été écarté en juin 2017, mais son successeur reconnaît qu'encore aujourd'hui le groupe peine à redorer son blason. "Si nous ne réussissons pas à rétablir notre réputation, notre activité va continuer à en souffrir", souligne le groupe. Uber reconnaît que le hashtag sur Twitter #DeleteUber était probablement à l'origine de la perte de "plusieurs centaines de milliers de clients".
Uber en roue libre
Uber, plateforme de mise en relation entre des clients et des chauffeurs ? Plus seulement. Dans ses documents financiers, l'entreprise souligne son effort de diversification pour accroître ses revenus. Son service de livraison de nourriture – Uber Eats – est d'ailleurs désigné comme sa nouvelle poule aux œufs d'or. Les revenus de cette activité ont été multipliés par trois en un an.
Moins connu mais également stratégique : l'activité de fret. En 2016, Uber a dégainé aux États-Unis un service de mise en relation entre les transporteurs routiers et ceux qui ont besoin de faire livrer des marchandises. Trois ans plus tard, il a fait ses débuts en Europe et le groupe assure qu'il va encore fortement investir dans ce service.
Mais Uber ne s'arrête pas là. Le groupe compte aussi développer son activité bourgeonnante dans les trottinettes et les vélos électriques. Le message est clair : tout ce qui a des roues les intéresse.
Des riches encore plus riches
L'entrée en Bourse d'Uber va faire des heureux. Pour les fondateurs et les investisseurs de la première heure, cette opération est une affaire en or. Ainsi, la mise de départ du fonds d'investissement américain Benchmark – 9 millions de dollars en 2011 – devrait valoir aux alentours de 8,25 milliards de dollars après l'entrée en Bourse.
Les parts d'Uber détenues par le géant japonais Softbank vaudront plus de 12 milliards de dollars, alors qu'il les avait acquises pour un peu moins de 8 milliards de dollars. Même Google, à travers son fonds d'investissement pour les start-up, pourrait récupérer environ 5 milliards de dollars s'il décidait de vendre sa participation dans Uber.
Le gagnant le plus controversé de cette entrée en Bourse devrait être l'Arabie saoudite. Riyad a acquis en 2016 des parts d'Uber qui devraient valoir plus de 4 milliards de dollars si tout se passe bien. Uber a plusieurs fois été critiqué pour avoir accepté de l'argent de la monarchie du Golfe, surtout depuis que le royaume est soupçonné d'avoir joué un rôle dans le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi en octobre 2018.