
Recep Tayyip Erdogan a présenté, mardi, l'annulation de la victoire de l’opposition aux municipales à Istanbul comme une victoire de la démocratie face à la "corruption organisée". Mais un nouveau vote n'est pas sans risque pour le président turc.
Recep Tayyip Erdogan a salué, mardi 7 mai, l'annulation du scrutin municipal à Istanbul qu'il réclamait, et qui ouvre la voie à un nouveau vote le 23 juin.
"Nous voyons (l'annulation du scrutin) comme une étape importante du renforcement de notre démocratie", a-t-il déclaré devant les parlementaires de son Parti de la justice et du développement (AKP).
Mais un nouveau vote n'est pas sans risques pour le président turc, alors que l'opposition semble plus déterminée que jamais et que l'économie du pays reste morose.
Après un déluge de recours et des semaines de pressions de l’AKP, les autorités électorales turques ont annulé lundi l'élection municipale remportée fin mars par l'opposition à Istanbul. Cette dernière dénonce d'ailleurs un "putsch des urnes" du parti au pouvoir.
Recep Tayyip Erdogan et le parti islamo-conservateur n'ont eu de cesse d'affirmer que le scrutin du 31 mars a été marqué par des "irrégularités massives", un argument rejeté par l'opposition. Le parquet d'Istanbul a ouvert plusieurs enquêtes et plus de 100 responsables de bureaux de vote ont été interrogés.
Lundi, le Haut-Comité électoral a ordonné l'annulation du vote au motif que les scrutateurs dans certains bureaux n'étaient pas des fonctionnaires, comme l'exige la loi.
Pour certains experts, les efforts déployés par le président turc pour faire annuler le vote à Istanbul illustrent l'importance qu'il accorde à cette ville dont il a été maire.
Pour eux, Recep Tayyip Erdogan ne pouvait pas accepter de perdre Istanbul qui, au-delà du symbole, a une grande importance. La municipalité de la capitale économique et démographique du pays contrôle en effet "des ressources financières conséquentes" qui sont "redistribuées" aux soutiens de l'AKP, explique Emre Erdogan, professeur à l'Université Bilgi à Istanbul. Par conséquent, perdre Istanbul entraînerait "une perte énorme dans le volume d'argent redistribué aux réseaux de l'AKP, ce qui pourrait affaiblir la machine du parti", ajoute l'universitaire, qui n'a aucun lien de parenté avec le président.
L'AKP est-il sûr d'emporter le nouveau scrutin ?
Lors du premier scrutin, le candidat de l'opposition Ekrem Imamoglu a battu celui de l'AKP, l'ex-Premier ministre Binali Yildirim, avec une avance de quelque 13 000 voix. Une goutte d'eau à l'échelle d'une ville de plus de 15 millions d'habitants. Recep Tayyip Erdogan a indiqué mardi que Binali Yildirim serait à nouveau le candidat de l'AKP pour le nouveau vote du 23 juin.
Malgré tout, la victoire semble loin d'être acquise, estiment les analystes, et un deuxième revers serait désastreux pour l'image du président. "Pour l'instant, c'est du 50/50", estime Emre Erdogan, le professeur de l'Université Bilgi. Plusieurs candidats d'opposition ont par ailleurs indiqué qu'ils pourraient se retirer au profit de celui du CHP, Ekrem Imamoglu
Pour Berk Esen, professeur associé à l'université Bilkent à Ankara, si Binali Yildirim l'emporte cette fois, il s'agira d'une "victoire à la Pyrrhus, car Ekrem Imamoglu s'est déjà imposé comme une figure de proue et un candidat capable d'unifier l'opposition".
Outre les incertitudes concernant le prochain vote, la décision d'annuler le scrutin risque aussi de peser un peu plus sur l'économie en récession, avec une inflation à 20 % et une devise qui s'érode. Signe de l'inquiétude des marchés, la livre turque a franchi lundi soir la barre symbolique des 6 contre un dollar.
Quelles conséquences pour la Turquie ?
C'est la première fois que l'AKP demande l'annulation d'un scrutin depuis son arrivée au pouvoir en 2002. Le président turc, qui avait acquis la réputation d'être invincible dans les urnes, déclare souvent que sa légitimité lui vient du "peuple".
Mais pour Berk Esen, l'annulation du scrutin municipal à Istanbul a "effacé les derniers vestiges de légitimité du système électoral turc". Pour lui, la crédibilité du vote avait déjà été fragilisée après le remplacement de dizaines de maires kurdes dans le sud-est du pays dans la foulée de la tentative de putsch de 2016.
Ils ont été remplacés par des administrateurs nommés par le ministère de l'Intérieur et non élus. Le parti prokurde de Turquie, le HDP, a récupéré la plupart de ces municipalités lors du scrutin de mars.
La décision du Haut-Comité électoral "ne fait que renforcer ce que nous avons déjà vu dans les provinces orientales de la Turquie (...) Les élections perdent leur sens si le (parti) sortant peut juste les annuler lorsqu'il fait face à une défaite", estime Berk Esen.
Avec AFP