
Les premiers mois de la présidence de Jair Bolsonaro au Brésil ont révélé des tensions au sein de son gouvernement. C’est maintenant avec son ambitieux vice-président, le général Hamilton Mourão, que les relations se corsent.
Quand Jair Bolsonaro s’est lancé dans la course à la présidentielle, courant 2018, il a choisi comme numéro 2 le général à la retraite Hamilton Mourão. Son fils, Eduardo Bolsonaro, expliquait alors dans un quotidien de Sao que "notre vice-président doit tenir une ligne dure", avant d’écrire à Bloomberg : "Qui osera vouloir la destitution de Bolsonaro si Mourão est vice-président ?".
L’ex-général a fait polémique en évoquant, durant la campagne, la possibilité d’envoyer l’armée en cas d’"anarchie". Signe que son ascendance sur Jair Bolsonaro posait déjà question, ce dernier avait dû mettre les choses au point durant la campagne : "Il est général, je suis capitaine, mais le président, c’est moi" .
En septembre 2018, le haut-gradé militaire qualifiait les Africains d’escrocs, et estimait que les familles monoparentales sans figure paternelle étaient des "fabriques à individus non intégrés qui ont tendance à grossir les rangs des narcotrafiquants".
Une posture de plus en plus modérée
Mais depuis que Jair Bolsonaro a remporté l’élection présidentielle en janvier 2019, le vice-président assume une posture de plus en plus modérée, alors qu’il était vu comme la figure de l’ultra-droite durant la campagne.
Après seulement deux mois de mandat, Hamilton Mourão avait nié tout antagonisme avec Jair Bolsonaro. Dans une interview à El Pais, en février, il parle de "complémentarité". Lorsque le Washington Post lui demande, au début de l’année, s’il avait une influence "modératrice" sur le président, Hamilton Mourão a écarté l’idée. "Nous avons été élus pour diriger tout le Brésil", répond-il. "Nous faisons de la politique par le dialogue. Je ne crois pas qu’il s’agisse de modération. C’est juste une bonne façon de faire de la politique."
Et les sujets de tension se sont accumulés entre les deux hommes, au point que le président se méfierait des ambitions présidentielles de son bras-droit.
Agendas contradictoires
Non seulement Hamilton Mourão a-t-il mis en sourdine ses positions les plus extrêmes, mais il a fait clairement comprendre qu’il poursuivait son propre agenda. Quand Jair Bolsonaro passe du temps avec les membres de son cabinet et avec ses alliés politiques, l’ancien général préfère s’adresser aux entrepreneurs, aux membres de la société civile, aux diplomates, au dirigeants de medias et aux personnalités de l’opposition.
"Le vice-président se révèle être une personne modérée, très constructive et bien informée", a estimé l’ambassadeur allemand au Brésil, Georg Witschel, dans une interview à El-Pais après une entrevue avec Hamilton Mourão. D’autres diplomates le décrivent comme doté d’un "bon sens, dont le discours de Jair Bolsonaro manque parfois".
Selon un sondage d’opinion mené début avril, Hamilton Mourão jouit d’une meilleure image que Jair Bolsonaro dans l’opinion brésilienne. L’institut de sondage Datafolha estime à seulement 18 % la part de l’opinion qui perçoit le vice-président comme faisant un travail "mauvais ou horrible". Dans le même temps, la popularité de Jair Bolsonaro a chuté drastiquement : 30 % des Brésiliens le considéreraient comme un président "mauvais ou horrible". C’est le pire score d’un président nouvellement élu, dans l’histoire du pays. La compétition que se livrent les deux hommes à la tête du pays devient publique – à plusieurs reprises, chacun ne s’est pas privé de critiquer l’autre, quitte à fragiliser encore davantage l’exercice du gouvernement.
Lorsque Jair Bolsonaro effectue une visite en Israël et promet de déménager l’ambassade brésilienne à Jérusalem dans le sillage des États-Unis, Hamilton Mourão lui, rencontre l’ambassadeur palestinien au Brésil pour lui assurer que cela n’arrivera pas.
Quand Jair Bolsonaro critique la Chine pour des pratiques commerciales illégales, Hamilton Mourão déclare dans le quotidien "Folha de Sao Paulo" que le Brésil "ne peut pas se permettre d’affaiblir ses liens avec la Chine" et annonce qu’il se rendra dans le pays au mois de mai.
Bolsonaro encourage les attaques contre Mourão
Samedi, Jair Bolsonaro a publié une vidéo sur sa chaîne YouTube montrant son mentor, Olavo de Carvalho, mettant en cause l’armée brésilienne. L’écrivain basé aux États-Unis décrit le président comme un "martyr" pour "sa capacité à supporter ces ‘fils de pute’ [sic] qui gravitent autour de lui". Il ajoute que l’armée a fait "un boulot de merde [sic]" durant la dictature militaire (1964-85). Cette vidéo a été effacée le lendemain. Mais le mot s’est vite répandu que Jair Bolsonaro a cherché à porter atteinte à la réputation de Hamilton Mourão.
Le journal O Globo a rendu publique une fuite du gouvernement, dans laquelle Jair Bolsonaro encourage ses alliés à cibler le vice-président, particulièrement sur les réseaux sociaux, dans le but de fragiliser Hamilton Mourão sans pour autant brusquer son propre gouvernement, où les officiers militaires et les figures évangéliques ont la part belle.
L’un des dirigeants du parti de Jair Bolsonaro au Congrès, Marco Feliciano, a lancé une procédure de destitution à l’encontre de Hamilton Mourão, le 17 avril dernier, accusant le vice-président de conspirer contre son président. La démarche a très peu de chance d’être suivie, mais Marco Feliciano a expliqué au magazine Epoca que sa démarche était un "avertissement".
Le désaccord entre le camp Bolsonaro et le vice-président est d’autant plus difficile à résoudre, que Hamilton Mourão occupe le seul poste que le président ne peut pas révoquer. Il formait un duo avec Jair Bolsonaro pour l’élection présidentielle, et a donc été élu démocratiquement.
Article traduit par Priscille Lafitte. Pour lire l'article en anglais, cliquez ici.