La Corée du Nord a procédé jeudi au tir d’une "nouvelle arme tactique" en présence de Kim Jong-un. Une démonstration de force militaire a minima qui sert, avant tout, à faire passer un message. Mais adressé à qui ?
Kim Jong-un revient à son arme de communication massive favorite : le missile. Le leader nord-coréen a supervisé, jeudi 18 avril, le tir d'une "nouvelle arme tactique", a annoncé l'agence de presse nord-coréenne KCNA. C'est le premier lancement depuis novembre 2018 et, surtout, depuis l'échec du sommet au Vietnam avec le président américain Donald Trump en février 2019.
Pyongyang s'est montré avare de détails sur les caractéristiques du missile. Il s'agirait d'une "arme tactique guidée" pouvant transporter "une puissante ogive", s'est bornée à indiquer le régime. "Le choix des mots sont importants et la Corée du Nord a insisté sur son caractère 'tactique' par opposition aux armes 'stratégiques' qui, dans le langage officiel nord-coréen, désigne celles qui sont liées au programme nucléaire", décrypte Antoine Bondaz, spécialiste de la Corée du Nord à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), contacté par France 24.
Un message adressé à Donald Trump ?
Le tir de jeudi n'avait donc rien à voir avec la démonstration de force de novembre 2017, lorsque Pyongyang avait procédé au lancement d'un missile balistique capable, en théorie, d'atteindre le sol nord-américain. Cette fois-ci, Kim Jong-un a plutôt assisté au tir d'une arme à courte portée qui pourrait s'assimiler à un dispositif anti-aérien, ont assuré plusieurs experts interrogés par le New York Times.
Le recours à une telle arme indique que Kim Jong-un voulait faire passer un message plutôt que de réaliser une prouesse militaire et technologique. Reste à en décrypter le sens. Pour une partie des spécialistes de la péninsule coréenne, le leader nord-coréen s'adressait en réalité à Donald Trump. "C'est le signe d'une frustration grandissante du leader nord-coréen qui cherche, avec ce tir, à attirer l'attention du président américain afin qu'il revienne à la table des négociations", assure Woo Jung-yeop, un expert de la Corée du Nord à l'Institut Sejong de Corée du Sud, interrogé par le New York Times. Après l'échec des négociations en février, Donald Trump semble s'être désintéressé de la question nord-coréenne. "Little Rocketman" ("le petit homme missile", surnom donné à Kim Jong-un par le président des États-Unis) a totalement disparu du fil Twitter du chef de l'exécutif américain.
Une lecture qui ne convainc guère Antoine Bondaz. "Il ne faut pas surinterpréter ce tir", assure l'expert français. Pour lui, la présence du leader nord-coréen lors d'un tir de missile était, avant tout, un geste de politique interne. "Il est obligé de faire des visites militaires régulièrement pour rassurer l'armée, et son dernier déplacement officiel remontait à six mois [lors du tir de missile de novembre 2018, NDLR]", rappelle-t-il. Le dirigeant nord-coréen doit montrer à son état-major que la voie diplomatique qu'il a exploré ces derniers temps ne signifie pas que l'armée a perdu en importance.
Recours au passé
Si Kim Jong-un avait voulu faire une grande déclaration au monde, il aurait mis son déplacement davantage en scène. "Il n'y a aucune photo officielle, ce qui indique que le régime voulait limiter l'impact international de l'événement", analyse Antoine Bondaz.
Kim Jong-un s'est même adonné à une gymnastique linguistique inhabituelle pour lui. Il a "utilisé le passé pour souligner à quel point il 'avait' été admiratif des progrès faits par les scientifiques dans le domaine nucléaire. C'est, à ma connaissance, l'une des premières fois qu'il évoque le nucléaire en utilisant le passé", note le spécialiste du FRS. Un choix de temps pour, d'après lui, souligner à la fois que ce lancement n'avait rien à voir avec le programme nucléaire, mais aussi pour "tenter de rassurer la communauté internationale", juge ce spécialiste.
Ce lancement représentait, au final, un exercice d'équilibriste délicat pour le leader nord-coréen. Il devait endosser le costume de commandant en chef à poigne "pour rassurer l'armée et montrer au monde qu'il dispose toujours d'une force de frappe", souligne Antoine Bondaz. Mais en même temps, pas question d'avoir l'air trop agressif afin de ne "pas ruiner l'image du pays qui commence à s'améliorer depuis le début des négociations avec Donald Trump", note l'expert. Kim Jong-un a gagné sa place dans le concert des nations depuis que le président américain lui a serré la main à Singapour, en juin 2018, et l'homme fort de Pyongyang n'est pas près d'en ressortir.