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Élections européennes : "Les questions sociale et environnementale seront au cœur de la campagne"

Pour le spécialiste de l’Union européenne Olivier Costa, interrogé par France 24, les thématiques sociales et l'environnement animeront autant la campagne que le clivage entre Européens convaincus et eurosceptiques.

À deux mois des élections européennes du 26 mai, les têtes de liste françaises sont au complet et la campagne peut enfin démarrer. Les sondages donnent depuis de nombreuses semaines La République en marche et le Rassemblement national au coude-à-coude avec 20 % à 25 % des intentions de vote, loin devant Les Républicains, La France insoumise et Europe Écologie-Les Verts. Une situation qui permet à ces deux partis de faire comme si l’unique enjeu de ce scrutin était de choisir entre une liste "progressiste" ou une liste "nationaliste", selon la formule d’Emmanuel Macron.

En réalité, "le clivage gauche-droite n’a pas disparu au Parlement européen" et "les questions sociale et environnementale seront absolument centrales dans le débat européen", souligne Olivier Costa, directeur de recherche CNRS au sein du Centre Émile Durkheim à l’Institut d’études politiques de Bordeaux, spécialiste de l’Union européenne, interrogé par France 24.

Les réponses apportées à ces questions dépendront des nouveaux équilibres issus du scrutin du 26 mai. Car si les députés européens ne sont pas à l’initiative des textes de loi, ils ont le pouvoir de les amender ou de les rejeter. Et cela concerne aussi bien les politiques liées à l’emploi, à l’agriculture, à l’environnement ou encore aux affaires étrangères. Les eurodéputés votent également le budget de l’UE et contrôlent l’exécutif européen en approuvant la composition de la Commission européenne ou en mettant sur pied des commissions d’enquête. Autant de compétences qui font dire à Olivier Costa que le Parlement européen "pèse réellement sur le processus décisionnel".

Enfin, les députés européens se caractérisent aussi, selon lui, par leur indépendance. "En France, la majorité à l’Assemblée nationale est là pour soutenir l’action du gouvernement et l’opposition ne peut pas faire grand-chose, juge le chercheur. C’est assez différent au niveau européen puisque, globalement, le Parlement européen a un point de vue qui n’est pas celui du Conseil européen ou celui de la Commission européenne."

France 24 : Le paysage européen est bien différent de ce qu’il était en 2014 avec une crise migratoire qui a rebattu les cartes. Faut-il s’attendre à la poussée nationaliste annoncée ?

Olivier Costa : Des eurosceptiques, on en a depuis presque toujours, mais il y a eu une accélération du phénomène ces quinze dernières années. Dans le Parlement européen actuel, on compte entre 150 et 200 députés eurosceptiques. Or, il y a pas mal de pays européens où la droite nationaliste a réalisé de bons scores ces dernières années. Il est donc très probable que le nombre de députés eurosceptiques augmente lors des prochaines élections, d’autant qu’il y a dorénavant une vraie action concertée entre ces partis. En revanche, on a pu remarquer lors de la dernière législature que certains de ces eurodéputés se montrent enclins à entrer dans un dialogue avec les autres groupes sur beaucoup de textes. Ils ne sont pas tous dans des logiques d’obstruction, comme peuvent l’être les eurodéputés du Rassemblement national par exemple.

En France, le match entre La République en marche et le Rassemblement national est déjà installé. L’enjeu de ces élections se réduit-il, comme ces deux partis aiment le présenter, à un affrontement entre "progressistes" et "nationalistes" ?

Non. En réalité, plusieurs clivages s’articulent aujourd’hui de façon complexe au Parlement européen. Il y a effectivement ce clivage entre députés favorables à la construction européenne et les autres, mais il y a aussi le clivage gauche-droite qui n’a pas disparu. Les différents groupes sont de moins en moins d’accord : ils n’ont pas la même vision des politiques budgétaires et des priorités politiques, notamment sur la question environnementale. Ces clivages traversent les deux principaux partis du Parlement européen – le Parti populaire européen (PPE) et le Parti socialiste européen (PSE) – qui se retrouvent parfois divisés en leur sein.

Quelles sont les principales préoccupations des citoyens européens ?

Une consultation au niveau européen, intitulée "We Europeans" ("Nous, les Européens"), a été menée ces dernières semaines par deux ONG. Celle-ci montre clairement que les questions sociale et environnementale seront absolument centrales dans le débat européen lors de ces élections. Il y a une vraie frustration des citoyens européens, qui perçoivent l’Union européenne uniquement comme un espace commercial et comme une institution qui passe son temps à mettre les travailleurs en concurrence les uns avec les autres, que ce soit au travers de directives type travailleurs détachés ou via des traités de libre-échange comme le Ceta signé avec le Canada. Le Brexit est en partie le résultat de ça, tout comme la montée des populismes. Quant à la question environnementale, les Européens ont bien compris que l’essentiel des règles sur la protection de l’environnement se décide à l’échelle européenne.

Le Parlement européen n’a pas toujours mis ces deux thèmes en tête de ses priorités mais les principaux partis ont senti le vent tourner et sont obligés d’en tenir compte. La lettre d’Emmanuel Macron est en cela révélatrice : le président français appelle l’UE à prendre "la tête du combat écologique" et insiste aussi sur le thème de "l’Europe qui protège". Tous les partis de gauche mettent de leur côté l’accent sur la question environnementale, tandis que la droite fait campagne sur l’immigration et la sécurité.

Malgré l’importance des enjeux du scrutin, les partis politiques français semblent toujours se lancer à marche forcée dans la campagne des européennes…

J’ai toujours été frappé par l’incapacité des responsables politiques français à accepter qu’il se passe des choses importantes à Bruxelles. Ailleurs en Europe, et notamment en Allemagne, on est capable de faire campagne sur les enjeux européens, mais en France, les campagnes restent souvent centrées sur des thèmes de politique nationale. C’est frappant lorsque l’on observe la constitution des listes. La loi sur le non-cumul des mandats a conduit les partis à nommer des têtes de liste inconnues pour éviter de faire de l’ombre aux leaders. Et derrière, c’est la variable d’ajustement ou plutôt de reclassement. Tout l’inverse d’autres pays, où la constitution de la liste ne répond pas à des logiques nationales et où l’on préfère demander l’avis aux partis européens pour savoir si les députés sortants ont bien fait leur travail au Parlement.