Menacé de mort, Jean Wyllys, parlementaire brésilien ouvertement homosexuel, a renoncé à son mandat de député à la Chambre basse brésilienne et vit aujourd'hui en exil à Berlin. France 24 l'a rencontré à Paris.
En janvier 2019, Jean Wyllys annonçait qu’il renonçait à son siège à la Chambre des députés parce qu’il craignait pour sa vie. Le mois suivant, cet avocat des droits des minorités aurait dû entamer son troisième mandat consécutif en tant que représentant de l’État de Rio de Janeiro. Après un passage par Barcelone, l'ancien élu s'est provisoirement installé à Berlin, où il prépare un doctorat après avoir reçu une proposition de la fondation allemande Rosa Luxemburg et de l'Open Society Foundation après son exil forcé.
"Je n’ai pas formellement démissionné, puisque je n’ai pas prêté serment en tant que député. J’ai simplement renoncé au mandat pour lequel j’ai été élu. Ma décision est motivée par les menaces de mort que je reçois depuis quelques temps au Brésil", a expliqué Jean Wyllys lors d’une conférence de presse organisée à Paris par l'ONG Amnesty International et l'association Autres Brésils , mardi 19 mars.
Très heureuse d’avoir accueilli @jeanwyllys_real, ancien député brésilien, grand défenseur des droits #LGBTQI contraint à l'exil face aux menaces de mort. Mercredi, #Paris rendra hommage à #MarielleFranco, conseillère municipale de Rio de Janeiro assassinée il y a un an. pic.twitter.com/hT9fLYkQ5l
Anne Hidalgo (@Anne_Hidalgo) 19 mars 2019Les menaces, dit-il, ont débuté peu après sa première élection, il y a neuf ans, sous la bannière du PSOL, le parti de gauche "Socialisme et Liberté". Ce parti a été fondé en 2004 après une scission de l'aile gauche du Parti des travailleurs ; des intellectuels de gauche ainsi que plusieurs courants de l'extrême gauche brésilienne s’y sont agrégés.
“Ils ont commencé [les envois de menaces] en 2011, durant mon premier mandat. Au départ, c’était dans le cadre du ‘dark web’, sur des forums où des personnes donnent libre cours à leur haine des féministes et des LGBT, se souvient-il. Les menaces étaient clairement reliées à mes positions politiques et au fait que je sois publiquement homosexuel."
Après avoir été la cible d’une campagne diffamatoire sur les réseaux sociaux, où se répandaient de fausses rumeurs de pédophilie, Jean Wyllys a accusé Jair Bolsonaro, devenu aujourd'hui président du Brésil, d’avoir contribué à orchestrer cette campagne. À l’époque connu comme avocat et député, l'actuel chef d'État brésilien s’était déjà illustré pour ses déclarations homophobes, racistes et misogynes. Les relations s’étaient ensuite envenimées et les joutes verbales étaient devenues récurrentes dans l’hémicycle. En 2016, Jean Wyllys avait craché en direction de Jair Bolsonaro, lors de débats au Parlement sur la destitution de Dilma Roussef.
"Même si je n’appartiens pas au parti de Dilma Roussef, j’étais même dans l’opposition, j’ai pris la parole en défense de la démocratie et de la présidence Roussef. C’était pour moi évident que Dilma Roussef était évincée par un coup d’État", explique-t-il.
"Qui a fomenté le meurtre de Marielle Franco ?"
C’est à cette époque que Jean Wyllys estime avoir vu la campagne de dénigrement qui le visait s’intensifier. Pour y répondre, il a créé un site web pour réfuter ces allégations. Ce n’est qu’après le meurtre de sa proche amie Marielle Franco – une féministe noire et lesbienne, membre du conseil municipal de Rio de Janeiro – le 14 mars 2018, qu’il a commencé à craindre pour sa vie.
Selon Jean Wyllys, les deux policiers arrêtés mi-mars pour leur implication supposée dans l’assassinat de Marielle Franco étaient connus pour leur appartenance aux milices qui contrôlent illégalement la ville de Brazilia. Or, affirme Jean Wyllys, il existe des liens entre Jair Bolsonaro et ces groupes paramilitaires.
"Avant d’accéder à la présidence, Jair Bolsonaro avait fait plusieurs déclarations, en tant qu’avocat, en soutien aux milices et à leur action", rappelle l’ancien député, qui estime que "Bolsonaro et son fils [Flavio] ont laissé le champ libre à ces milices". L'enquête a révélé qu'un des deux policiers arrêté dans l’affaire Marielle Franco était un voisin de Jair Bolsonaro. "Une coïncidence", a répondu la police brésilienne, qui assure n'avoir aucune preuve de liens entre la famille présidentielle et le crime. "Il y a des preuves substantielles des liens entre la famille Bolsonaro et ces milices criminelles", affirme de son côté Jean Wyllys. "Mais derrière les hommes de main, ce que nous voulons savoir, c’est l’identité de la personne qui a ordonné son meurtre", insiste-t-il.
“J’ai compris très clairement que ma vie était en danger”
La mort de Marielle Franco et les menaces proférées contre Jean Wyllys ont poussé la chambre fédérale des députés à lui assurer une sécurité rapprochée.
“L’imminence de ma propre mort semblait aller de soi, raconte-t-il. On m’escortait de ma maison à mon travail, et sur le chemin du retour, dans une voiture blindée. Cela signifiait que je faisais une croix sur tous les autres domaines de ma vie. Je vivais dans une sorte de prison."
Même si ces mesures de sécurité renforcée ont contraint Jean Wyllys dans ses déplacements et ont freiné sa capacité à faire campagne pour un nouveau mandat de député, il a été réélu en octobre 2018.
Peu après, il a déposé une plainte auprès de l’Organisation des États américains (OEA). Celle-ci a évalué les "risques" d’atteinte à sa vie, "graves et urgents". L’OEA a ordonné au gouvernement brésilien de prendre "toutes les mesures nécessaires" pour protéger Jean Wyllys et sa famille.
Ce rapport de l’OEA a été ignoré par le gouvernement brésilien, estime l’ancien député, qui met cet immobilisme sur le compte de l’homophobie des autorités. Les morts violentes de personnes LGBT ont triplé au Brésil depuis 2001. L’an passé, au moins 420 individus ont été tués ou ont commis un suicide du fait de cette discrimination, estime le Grupo Gay de Bahia, un groupe défendant les droits LGBT.
"J’ai réalisé que si je perdais la vie, je ne pourrais plus me battre pour les causes qui me tiennent à cœur, raconte Jean Wyllys. J’ai pris conscience de cela quand mes ennemis politiques ont conquis la présidence du pays. Et encore davantage, quand j’ai découvert les liens entre Bolsonaro et les assassins de Marielle Franco. Alors j’ai pris la décision de partir vivre en exil en Europe."
Le gouvernement Bolsonaro représente un “danger” pour les activistes
Jean Wyllys n’est pas le premier militant des droits humains à fuir le Brésil. La philosophe, plasticienne et écrivaine Marcia Tiburi, qui s’est présentée à l’élection pour le poste de gouverneur de Rio de Janeiro en 2018 sous les couleurs du Parti des Travailleurs (PT), a été contrainte de quitter le Brésil et de s’exiler aux États-Unis, en raison des menaces proférées contre elle. De son côté, l’auteur Anderson França, qui a remporté le prix littéraire le plus prestigieux du Brésil en 2017 pour son premier roman “Rio em Shamas”, s’est installé au Portugal pour fuir les pressions.
Jean Wyllys estime que la présidence Bolsonaro représente une menace réelle pour la vie des militants des droits des minorités. Il rappelle que l’assouplissement de la législation sur le port d’armes fait partie des promesses du président nouvellement élu. Le geste du tir au pistolet était devenu son symbole, rappelle l’ex-député.
Le militant n’échafaude pour l’instant pas de plan pour demander l’asile politique hors du Brésil, mais il n’exclut pas l’idée et a déjà abordé la question avec les autorités canadiennes. Quoi qu’il en soit, il continuera à prendre la parole et alerter sur la situation des droits humains au Brésil.
Quant à son siège de député, il est désormais occupé par David Miranda, lui aussi un homosexuel assumé, et compagnon du journaliste américain Glenn Greenwald – celui-ci qui avait orchestré les fuites d’Edward Snowden sur les pratiques de surveillance de la NSA.
"David Miranda sera parfait comme député. Mais son champ d’action sera restreint, estime Jean Wyllys. Son avantage, c’est d’être le mari de Glenn Greenwald, cela lui permet d’être sous haute protection policière. Si j’ai une suggestion à lui faire, c’est de profiter de cette situation pour dénoncer haut et fort les attaques contre les fondements de la démocratie brésilienne."