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Les Argentines sont mobilisées ce vendredi pour le droit des femmes. En cette année électorale, le droit à l’avortement reste leur principal combat. Il est encore loin d’être acquis.

Plusieurs centaines de milliers de personnes étaient attendues dans les rues d’Argentine vendredi 8 mars, vêtues de vert et de violet, à l’image des 350 000 personnes qui ont envahi en 2018 la ville de Buenos Aires et d’autres grandes villes.

Depuis 2015, c’est le mouvement #NiUnaMenos, contre les violences sexistes, qui orchestre la contestation du 8 mars dans le pays. Le "8M", comme l’appellent les habituées, "arrive avec plus de force cette année", déclare à France 24 Florencia Partenio, membre du réseau d’activistes féministes DAWN. "Nous sommes plus nombreuses, et nous avons été rejointes par des profils très divers : des lycéennes aux femmes rurales, en passant par les habitantes des 'villas', les quartiers défavorisés."

Le droit à l’avortement "légal, sûr et gratuit" a été la principale revendication du mouvement féministe argentin en 2018. Une proposition de loi en ce sens avait été rejetée par le Sénat en août 2018, alors que toute l’Amérique latine était suspendue à cette décision législative. Cette année, à l’occasion de la journée mondiale des droits des femmes et pour la huitième fois consécutive, une nouvelle proposition de réforme sera déposée au Parlement.

Cependant, les Argentines n’ont pas attendu le 8 mars pour réclamer des droits. Le 19 février, des centaines de femmes s’étaient rassemblé devant la Parlement à Buenos Aires pour réclamer la légalisation de l’IVG. Un combat de plusieurs années qui, depuis le mouvement #metoo, a mis les femmes au cœur des campagnes présidentielle et législatives.

L’affaire de la jeune Lucia, 11 ans, violée par le compagnon de sa grand-mère et empêchée d’avorter, a soulevé l’indignation nationale en janvier. En Argentine, l’avortement n’est autorisé qu’en cas de danger pour la vie ou la santé de la mère et en cas de viol. Mais les autorités ont retardé sa demande d’IVG légale et la petite, originaire de la province conservatrice de Tucuman, a dû subir une césarienne à cinq mois de grossesse.

Par ailleurs, rien qu’en janvier et février, 54 femmes ont été tuées, selon l’Observatoire "Ahora que sí nos ven" ("Maintenant qu’on nous voit"), une ONG qui recense les violences de genre. "Selon nos sources policières, un féminicide est commis toute les 36 heures en moyenne", souligne quant à elle l’agence de presse nationale Telam.

Le « 8M » dans un contexte d’austérité et d’élections

"Nous protestons aussi car notre gouvernement a diminué en 2019 le budget destiné à la prévention des violences faites aux femmes", rappelle l’activiste féministe Florencia Partenio. "Maintenant nous sommes en campagne, mais la conjoncture économique nous est défavorable."

Dans un contexte d’austérité économique liée aux engagements de l’Argentine auprès du FMI, le gouvernement du président Mauricio Macri a en effet diminué de 18 % le financement de l’Institut National des Femmes (INAM), chargé des programmes sociaux.

Les activistes féministes ne perdent pas de vue les élections présidentielle et législatives qui auront lieu au mois d’octobre. Les Argentins éliront leur président le 27 octobre et renouvelleront une partie de leur Parlement. Aujourd’hui le combat des femmes est plus visible, mais il se heurtent au système politique, rappelle Daniel Borrillo, juriste argentin, spécialiste du droit des sexualités, interrogé par France 24.

"En Argentine, la Chambre des députés a approuvé la légalisation de l’IVG, mais le Sénat l’a bloqué. Chaque province étant représentée par trois sénateurs, quelle que soit sa taille ou sa population, les petites provinces conservatrices du nord du pays disposent de beaucoup de poids politique", explique-t-il. "Ainsi, malgré une opinion nationale plus ouverte, les élections risquent de maintenir le status quo concernant la loi sur l’IVG."

Cela n’empêche pas les politiques de faire campagne sur le thème des femmes. Le gouvernement du président Mauricio Macri, candidat à sa réélection, a fait coïncider le 8 mars 2019, avec la promulgation de la loi pour la parité de genres dans la représentation publique, votée en 2017, qui oblige à la parité dans les listes électorales dans les législatives.

Pour Clara Hijano, politologue argentine, spécialisée dans les questions de masculinité et de garde parentale, si le parti de droite du président Macri, Proposition républicaine (PRO) s’est emparé de la question, c’est notamment à des fins électoralistes.  "Le PRO dit promouvoir le débat sur l’avortement et soutenir les droits des femmes, mais coupe les aides sociales destinées aux femmes démunies, tout en maintenant le financement des écoles religieuses", déplore-t-elle.

En effet, en octobre 2018, le site de fact-checking Chequeado, a révélé comment plus de 70 % des écoles privées confessionnelles recevaient des subventions publiques et bénéficiaient d’exemptions d’impôts. "Cela représente pour certaines provinces jusqu’à 20 % de leurs dépenses en éducation", souligne le site.

Les lobbies évangéliques

Dans le pays d’origine du pape François, la religion catholique demeure essentielle pour les Argentins qui déclarent à 76 % catholiques appartenir à cette confession, vent debout contre l’avortement. Cependant, les courants évangéliques gagnent du terrain en Amérique Latine, et commencent à influencer l’espace public argentin. En 2008, près de 10 % de la population disait appartenir à cette religion. "Ce pourcentage correspond à 30 % aujourd’hui", affirme Daniel Borrillo. Or, ces courants sont loin d’être ouverts aux droits des femmes.

"En Argentine, un groupe d’évangelistes intégristes, qui se fait appeler 'Les gladiateurs de l’autel', s’est beaucoup mobilisé contre la création de l’Observatoire de la violence de genre", rappelle le juriste argentin. "L’Église catholique a beaucoup d’influence dans les hautes sphères politiques, mais l’église évangélique détient la clef de la mobilisation populaire, dans les quartiers les plus défavorisés par exemple." Et l’activiste Florencia Partenio d’ajouter : "le lobby fondamentaliste est très fort auprès des gouvernements provinciaux".

La rencontre entre le président argentin et des représentants évangéliques, en septembre 2018, la marque de l’importance croissante du vote évangélique conservateur et rend pessimistes les activistes des droits des femmes.