Le cardinal Barbarin a été condamné, jeudi 7 mars, à six mois de prison avec sursis pour "non-dénonciation" d'actes pédophiles. Pour l'historien Odon Vallet, ces scandales d'abus sexuels pourraient provoquer un "schisme" au sein de l’Église.
La justice des hommes a rendu son verdict jeudi 7 mars. Le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon et primat des Gaules, a été condamné à six mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Lyon pour "non-dénonciation" des actes pédophiles du père Preynat, qui officiait dans son diocèse. Dans la foulée, le cardinal Barbarin a annoncé qu'il allait remettre sa démission au pape, un coup de tonnerre au sein de l'Église catholique.
La médiatisation de ce procès et la condamnation prononcée permettront-elles à l'Église d'amorcer des réformes et d'entrer dans une ère nouvelle ? Franec 24 a posé la question à Odon Vallet, docteur en droit et en science des religions.
France 24 : Le procès du cardinal Barbarin était-il un procès symbolique, "pour la forme" ?
Odon Vallet : Le parquet n’avait, en effet, pas requis de condamnation à l’encontre du cardinal Barbarin car les faits étaient prescrits. La peine prononcée est évidemment symbolique puisqu’il y a sursis et que le cardinal Barbarin n’ira jamais en prison. Elle signifie en revanche que le comportement de l’archevêque de Lyon, primat des Gaules, était punissable par la loi pénale française, ce qui dans les faits est assez rare. Jusqu'ici, deux évêques seulement avaient été condamnés pour des faits anciens qui auraient dû être signalés, mais qu’ils avaient préféré ignorer. (Mgr Pican condamné en 2001, et Mgr Fort, condamné en 2018, ndlr).
Ici, il ne s’agit pas d’un évêque mais de l’archevêque de Lyon, primat des Gaules.
Si en Australie, le cardinal Pell vient d’être condamné dans une affaire de pédophilie et envoyé en prison, en France c’est la première fois qu’un aussi haut dignitaire de l’Église catholique est condamné par un tribunal.
Ce procès aura des conséquences, tout comme les scandales d’abus sexuels, qu’ils soient liés aux mineurs ou aux religieuses abusées, ont eu des conséquences sur l’Église. En France aujourd’hui, de nombreux jeunes se demandent s’ils vont entrer au séminaire, des séminaristes hésitent à devenir prêtres… L’évêque de Lille a même fermé son séminaire parce qu’il a de moins en moins de candidats. Tout cela est le signe d’une vraie crise, en France, concernant les prêtres et la pratique de la religion.
Quelles conséquences les différents scandales et le procès du cardinal Barbarin ont-ils eu sur la communauté catholique ?
Au sein même de l’Église, les prêtres qui n’ont jamais commis d’abus sont les plus mécontents et reprochent aux évêques de ne pas les défendre, d’effectuer des cérémonies pénitentielles en oubliant que la majorité des prélats n’a rien à voir avec ces crimes. Dans la communauté des fidèles, les gens sont scandalisés. On ne comprend pas que des prêtres à qui les uns et les autres se confessent finissent par avouer l’inavouable.
Pourtant, ce qui est paradoxal, c'est que l'on constate des réactions totalement contradictoires et imprévisibles. Par exemple, lors du Mercredi des Cendres, le 6 mars dernier, les églises des grandes villes françaises étaient pleines à craquer. Certaines églises sont aujourd’hui trop petites parce qu’il y a un retour à la pratique religieuse, notamment chez les jeunes qui n’ont jamais été aussi nombreux que cette année à se rendre à l’église pour une cérémonie. Reste qu'il demeure un problème de fond qu'il faut régler pour mettre un terme à cette crise.

La condamnation du cardinal Barbarin permettra-t-elle à l’Église catholique de s’engager dans une nouvelle ère, celle de la remise en question et de l’évolution ?
Sur cette question, il y a deux tendances opposées. Selon la première, l’Église en a vu d’autres en 2000 ans d’histoire. Ce qui se passe est condamnable, dramatique, mais l’Église s’en remettra.
Selon une autre tendance, à laquelle j'appartiens, nous n’avons pas connu pareille crise depuis 400 ans au moins, et il est probable que cela provoque un schisme dans l’Église catholique. Qu’on le veuille ou non, on ne pourra pas s’en tirer sans accepter l’ordination d’hommes mariés ou le mariage des prêtres.
Leur nombre réduit dans certains pays (dont la France) et il va encore diminuer. Il faudra donc trouver une autre solution et celle-ci passe par le mariage, d’autant que dans certains pays, notamment en Afrique, plus de la moitié des prêtres ont une compagne et des enfants. L’obstacle est que certains s’y opposent de crainte que ce ne soit un premier pas vers l’ordination des femmes.
De plus, certains évêques estiment que la pédophilie au sein de l’Église est un problème d’occidentaux qui ne les concerne pas. Il faudrait donc pouvoir réformer depuis le sommet de l’État, mais le pape ne peut rien faire seul pour la simple et bonne raison qu’il ne peut s’occuper seul d’1,3 milliard de catholiques et de 400 000 prêtres. Ainsi, et c’est inévitable, il faut donc faire confiance aux évêques de chaque pays avec le risque qu’en décentralisant, les projets soient moins audacieux et que ceux qui s’y opposent l’emportent. Plus vous réformez, plus vous vous faites d’ennemis. Le pape peut essayer de suivre le sens du vent pour faire évoluer la position de l’Église, malheureusement le vent ne souffle pas dans la même direction sur les cinq continents.