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Au Fespaco, entre libération de la parole féminine et célébration du cinéma rwandais

Le film rwandais "The Mercy of the jungle" (La miséricorde de la jungle) a remporté samedi l'Étalon d'Or de Yennenga du 26e Fespaco, une édition marquée par les révélations d'abus sexuels contre les femmes dans le cinéma africain.

Le plus grand festival du cinéma africain a rendu son verdict samedi 2 mars. C’est le Rwanda, invité de la 26ème édition du Fespaco, qui a été mis à l'honneur : l'Étalon d’or de Yennenga, le premier prix du festival, a été décerné à un film rwandais, "The Mercy of the jungle" (La miséricorde de la jungle) de Joël Karekezi.

Le film suit la dérive de deux soldats rwandais perdus dans la jungle lors de la deuxième guerre du Congo en 1998. Plus qu'un film de guerre, il s'agit d'une réflexion sur ce conflit terriblement meurtrier, comme de toutes les guerres, magnifiée par des images superbes de la jungle du Kivu. "C'est un film sur la vie et sur la paix", a confié le réalisateur.

Le film rafle aussi le prix d'interprétation masculine décerné à Marc Zinga pour son rôle du Sergent Xavier, un soldat épuisé par les guerres sans fin, interprété avec puissance et justesse.

L'Étalon d'argent récompense "Karma", de l'Egyptien Khaled Youssef, et l'Etalon de bronze va à "Fatwa", de Ben Mohmound (Tunisie). Le prix d'interprétation féminine revient à Samantha Mugotsia, pour son rôle dans "Rafiki", de la Kényane Wanuri Kahiu. Ce film, projeté à Cannes en 2018, avait été censuré dans son pays parce qu'il racontait une histoire d'amour entre deux femmes. "Desrances" de la Burkinabè Apolline Traoré, qui a remporté un franc succès auprès de son public, ne remporte qu'un prix technique, celui du meilleur décor.

#MemePasPeur

Contrairement à l'année précédente, aucune femme n’a reçu l'un des principaux prix lors de cette édition qui marque le cinquantenaire du Fespaco. Mais un vent de libération de la parole des femmes a soufflé sur le festival. L’omerta a été brisée par la révélation d'agressions sexuelles contre des actrices, réalisatrices ou techniciennes dans le milieu du cinéma africain.

Inspirées par les mouvements #MeToo et #Balancetonporc, deux actrices, la Française Nadège Beausson-Diagne et la Burkinabè Azata Soro, ont accusé des cinéastes africains de harcèlement sexuel et d'agressions contre elles. Les collectifs de femmes, "Cinéastes non-alignées" et "Noire n'est pas mon métier", ont ainsi lancé un mouvement, #MemePasPeur, pour "libérer la parole des femmes" en Afrique, espérant encourager d'autres femmes à témoigner.

Après #MeToo hier j ai parlé à mon tour pour que la parole se libère et permette à d autres de parler et de se reconstruire. J ai été victime de harcèlement sexuel et d agression sexuelle sur 2 tournages en Afrique. Il y a très longtemps. Avec #Memepaspeur en Afrique dénonçons ! pic.twitter.com/tjcGMI59N1

  Nadege B.Diagne (@NBeausson) 1 mars 2019

C'est au cours d'une table ronde en marge du festival, le 28 février que Nadège Beausson-Diagne a brisé le tabou en affirmant qu’un réalisateur africain avait tenté de la violer il y a 18 ans. "Il y a eu #Metoo en Amérique, #Balancetonporc en France ; en Afrique personne n'en a encore parlé, mais ce n'est parce que ça n'existe pas" a-t-elle affirmé.

Azata Soro a elle été agressée lors du tournage en 2017 de la série "Le Trône" par le réalisateur burkinabè Tahirou Tasséré Ouedraogo : il lui a lacéré le visage avec un tesson de bouteille après l’avoir harcelé sexuellement pendant six ans lors de plusieurs productions. Ce dernier, qui a reconnu les faits, a été condamné par la justice à une peine de prison avec sursis sans incidence sur ses activités professionnelles.

Au Fespaco, entre libération de la parole féminine et célébration du cinéma rwandais

Mais le vent a tourné pour Tahirou Tasséré Ouedraogo après qu’une pétition mise en ligne ait demandé que la série "Le Trône" "soit exclue de la compétition". Cette dernière exigence n’a pas trouvé un échos favorable auprès des organisateurs. Mais le prix Série TV a été décerné au Ghanéen Ambrose B. Cooke réalisateur de "Little stories, big reality" (Petites histoires, grandes vérités).

Le coup dur pour le réalisateur burkinabè est venu du côté de la chaîne francophone TV5 Monde qui avait préacheté la série et devait la diffuser à partir de fin mars. Dans un communiqué publié samedi 2 mars, elle a annoncé qu'elle ne la diffusera pas : "La chaîne francophone, très engagée dans la défense des droits des femmes et la lutte contre les violences qui leurs sont faites, ne diffusera pas "Le Trône", exclut toute collaboration à venir avec Tahirou Ouedraogo, et se réserve le droit de le poursuivre en justice pour réaparation des préjudices causés."

Sécurité maximum

Malgré les craintes pour la sécurité, le Fespaco n'aura été troublé par aucun incident. Les autorités burkinabè ont déployé des mesures de sécurité maximum en raison du risque d'attentat, le Burkina-Faso étant depuis quatre ans la cible de groupes jihadistes perpétrant des attaques de plus en plus fréquentes et meurtrières, y compris au coeur de Ouagadougou.

Le 19e Marché international du cinéma et de la télévision africains (MICA), qui se tenait en parallèle du Fespaco, a également été un succès avec un grand nombre d'exposants et de visiteurs, selon Alain Modot, vice-président de la société de distribution DIFFA, spécialisée sur les films africains. 

Avec AFP