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Américaine ou non ? Le retour d'une veuve de jihadistes syriens refusé par les États-Unis

Partie en Syrie en 2014, Hoda Muthana souhaite rentrer aux États-Unis où elle est née "et payer sa dette" à la justice. L'administration américaine refuse son retour, arguant qu'elle n'est pas une citoyenne américaine.

Elle dit avoir été "manipulée" par les jihadistes en Syrie. Hoda Muthana, 24 ans, veut aujourd'hui rentrer aux États-Unis, où elle née, "pour payer sa dette". Cependant, le gouvernement américain lui conteste sa nationalité et se refuse à accueillir cette "revenante" de l'organisation État islamique.

"C'est une terroriste, elle ne revient pas", a lancé jeudi 21 février le secrétaire d'État Mike Pompeo. "Elle est peut-être née ici, mais elle n'est pas citoyenne américaine et n'a pas droit à la citoyenneté."

I have instructed Secretary of State Mike Pompeo, and he fully agrees, not to allow Hoda Muthana back into the Country!

  Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 20 février 2019

Fille de diplomate

Hoda Muthana est née le 28 octobre 1994 dans le New Jersey, selon le site spécialisé dans les groupes extrémistes (religieux principalement), Counter Extremism Project, avant de s'installer avec sa famille à Hoover, une banlieue cossue de Birmingham, dans l'Alabama. Ses parents, originaires du Yémen, ont été naturalisés américains avant la naissance de leurs trois enfants, dont Hoda, la plus jeune.

Washington refuse cependant catégoriquement son retour, mais aussi de reconnaître sa citoyenneté américaine, arguant du statut diplomatique de ses parents. En effet, les enfants de diplomates nés aux États-Unis pendant qu'ils y sont en poste n'acquièrent pas automatiquement la nationalité américaine.

Mais, selon l'avocat de la famille, son père a quitté son poste de diplomate à l'ONU un mois avant la naissance de Hoda, et celle-ci avait "un passeport valide" lorsqu'elle est partie en Syrie.

"Hoda Muthana est née dans le New Jersey en 1994, plusieurs mois après que son père eut cessé d'être diplomate. Elle est citoyenne américaine", avait assuré mercredi l'avocat de la jeune femme, Hassan Shilby.

"On ne peut pas arriver au point où nous privons tout simplement de nationalité ceux qui ont violé la loi. Ce n'est pas ça, l'Amérique", affirme-t-il.

D'une enfance "très protégée" à la propagande de l'organisation État islamique

Les rares photos de Hoda Muthana montrent une jeune femme souriante au teint mat et aux grands yeux marron, chevelure cachée sous un voile islamique, portant dans ses bras son jeune fils.

Jordan LaPorta, un de ses camarades de lycée entre 2009 et 2013, évoque à l'AFP une élève "polie, gentille et sage".

Son avocat, Hassan Shibly, raconte à l'AFP une enfance "dans un milieu très protégé" et une mère stricte qui "a vraiment limité son accès à ses amis". L'adolescente n'a droit à un téléphone portable qu'après le lycée et s'évade alors sur les réseaux sociaux, où la propagande jihadiste prospère.

C'est sur Internet qu'elle rencontre des recruteurs de l'organisation de l'État islamique qui "lui ont vraiment accordé beaucoup d'attention", déclare Hassan Shibly, membre du Conseil des relations américano-islamiques (CAIR) basé en Floride.

Elle aurait été victime d'un "lavage de cerveau" et les jihadistes l'auraient "coupée de ses amis, de sa famille, de sa communauté, de sa mosquée", ajoute-t-il.

En 2014, elle est étudiante à l'université d'Alabama, quand elle rejoint en secret, via la Turquie, le "califat" ultra-rigoriste et ultra-violent établi en Syrie et en Irak. Elle sera successivement mariée à trois combattants de l'organisation État islamique, tous tués.

Selon le Counter Extremism Project, Hoda Muthana participe activement à la propagande de l'organisation État islamique sous le pseudonyme de "Oum Jihad". Elle appelle notamment à "faire couler le sang américain" et félicite les auteurs de l'attentat de janvier 2015 contre Charlie Hebdo, qui fait 12 morts. "Je tire mon chapeau aux moudj de Paris", affirme un message sur son compte Twitter aujourd'hui suspendu, en référence aux "moujahidines" (combattants du Jihad).

Elle veut "payer sa dette"

Elle a aujourd'hui "honte de ces messages", assure son avocat, expliquant qu'ils avaient été diffusés "peu de temps après la mort de son premier mari", alors qu'elle n'avait "pas vraiment le contrôle de son compte".

À cette époque, la coalition internationale menée par Washington a débuté la contre-offensive contre le "califat". L'organisation État islamique a depuis perdu Mossoul (Irak) puis Raqqa, son fief en Syrie, et le groupe est désormais acculé dans un demi-kilomètre carré dans un village de l'Est syrien.

Hoda Muthana s'est rendue en janvier aux forces kurdes et est détenue dans un camp de réfugiés. Elle souhaite rentrer aux États-Unis, affirmant qu'elle a fait "une grave erreur" en croyant à l'idéologie jihadiste.

"Je suis juste un être humain normal qui a été manipulé une fois et, j'espère, plus jamais", a-t-elle expliqué sur ABC News. L'avocat a également sous-entendu sur Fox News que sa cliente "pourrait avoir des informations de grande valeur" sur les jihadistes.

"En tant que citoyenne américaine", elle est prête à affronter la justice pour "payer ses dettes", assure son avocat.

Le père de la jeune femme, Ahmed Ali Muthana, a saisi jeudi un tribunal, espérant obtenir une injonction d'un juge affirmant la citoyenneté américaine de sa fille

Le refus de rapatrier Hoda Muthana apparaît comme un contrepied aux déclarations récentes de Donald Trump. Alors que le dernier bastion de l'organisation État islamique devrait tomber dans les prochains jours en Syrie, le président américain a demandé à plusieurs reprises aux pays européens, notamment le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne, de rapatrier et juger leurs ressortissants faits prisonniers parmi les combattants de l'organisation État islamique.

The United States is asking Britain, France, Germany and other European allies to take back over 800 ISIS fighters that we captured in Syria and put them on trial. The Caliphate is ready to fall. The alternative is not a good one in that we will be forced to release them........

  Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 17 février 2019

Avec AFP