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La bataille judiciaire autour de l’état d’urgence de Donald Trump a débuté, lundi, devant le 9e circuit judiciaire des États-Unis, en Californie. Une juridiction qui a gagné la réputation d’être la bête noire des conservateurs.

Donald Trump va de nouveau affronter sa bête noire judiciaire : le 9e circuit des États-Unis. Lundi 18 février, une coalition de seize États américains, menée par la Californie, a engagé une procédure devant un tribunal de San Francisco pour contester la légalité de l’état d’urgence décrété par le président américain. Selon le découpage territorial judiciaire, le 9e circuit regroupe tous les tribunaux qui dépendent de la Cour d’appel fédéral e de Californie . Cette juridiction, réputée pour abriter des juges parmi les plus à gauche du pays, est depuis des décennies dans le collimateur des conservateurs américains.

Le président américain avait anticipé l’offensive judiciaire démocrate lorsqu’il avait décrété l’état d’urgence nationale pour obtenir des fonds afin de construire son mur à la frontière mexicaine sans passer par le Congrès. “Nous allons être poursuivis en justice devant le 9e circuit, et nous allons probablement perdre, puis nous allons de nouveau perdre [en appel] avant d’arriver à la Cour suprême où j’espère que nous serons mieux traités, et gagnerons”, avait résumé le locataire de la Maison Blanche à cette occasion.

L’héritage de Jimmy Carter

Donald Trump sait de quoi il parle. Ce sont des tribunaux et la cour d’appel du 9e circuit qui ont annulé son “décret anti-immigration” de janvier 2017. Un an plus tard, rebelote   : la cour d’appel de Californie interdisait à l’administration de mettre un terme au programme de protection des jeunes migrants.

Le 9e circuit regroupe tous les tribunaux qui dépendent de la Cour d’appel fédéral e de Californie. Il s’agit du plus vaste des 13 circuits judiciaires des États-Unis et s’étend sur neuf États de l’Ouest américain, de l’Alaska à l’Arizona. Les tribunaux de l’île de Guam, Hawaï et des îles Marianne du Nord lui sont également rattachés.

Sa réputation de bastion judiciaire de gauche remonte aux années 1970. Le président démocrate de l’époque, Jimmy Carter, avait alors pu renouveler 15 des 23 juges (il y en a 29 aujourd’hui) de la cour d’appel fédérale de Californie. “Il a nommé certains des magistrats les plus libéraux à avoir jamais siégé”, expliquait en 2010 au New York Times Alex Kozinski, un juge conservateur du 9e circuit.

À travers une série de jugements retentissants, la Cour d’appel du 9e circuit a marqué le paysage judiciaire de son empreinte et suscité l’ire grandissante de la droite américaine. Elle s’est opposée, en 2012, à un projet de loi californien visant à interdire les mariages entre personne du même sexe, s’est prononcée en faveur de l’euthanasie en 1996 ou encore a estimé, en 2002, que le deuxième amendement de la Constitution n’octroyait pas le droit de porter une arme.

Mais c’est une décision de 2002 qui a tout particulièrement mis le 9e circuit dans le collimateur des conservateurs les plus durs . Dans une affaire relative à l’apprentissage du fait religieux à l’école, la cour d’appel californienne a jugé que la référence à Dieu dans le “serment d’allégeance au drapeau” était inconstitutionnelle car elle violait la séparation entre l’Église et l’État.

Obsession des républicains

De quoi se mettre à dos la très puissante droite religieuse américaine pour longtemps. Jeff Session, l’ex-ministre de la Justice de Donald Trump qui était gouverneur du Texas en 2002, avait qualifié cette décision de “justice sans dieu”. Le très influent animateur radio conservateur Rush Limbaugh fait référence au 9e circuit sous l’appellation “ninth circus” (9e cirque), tandis que Newt Gingrich, ex-candidat républicain à la présidentielle de 2011, qualifie cette juridiction de “dictature anti-américaine”.

Démanteler le 9e circuit est donc devenue une obsession pour les républicains. À partir de 1998, ils ont tenté à plusieurs reprises d’introduire des propositions de lois afin d’en réduire l’influence. Pour démontrer la nécessité d’en finir avec le 9e circuit dans sa forme actuelle, les républicains soulignent depuis des années que la Cour suprême inflige un camouflet après l’autre à la cour d’appel de Californie.

“Le 9e circuit est un désastre total, avec une réputation horrible et dont 79 % des décisions sont défaits par la Cour suprême”, a ainsi souligné Donald Trump dans un tweet en novembre 2018. Pour les conservateurs, ce serait le signe que les juges de la côte ouest ne sont pas en phase avec la réalité juridique et agissent uniquement par conviction.

Justice Roberts can say what he wants, but the 9th Circuit is a complete & total disaster. It is out of control, has a horrible reputation, is overturned more than any Circuit in the Country, 79%, & is used to get an almost guaranteed result. Judges must not Legislate Security...

  Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 22 novembre 2018

Mais ces chiffres sont à relativiser. La Cour suprême ne se saisit que d’une fraction des affaires traitées par les différentes cours d’appel et s’intéresse aux plus complexes et controversées. “En moyenne, 73   % des décisions sont annulées et certains circuits, comme le 6e, sont encore moins bien lotis que le 9e”, souligne le New York Times.

Surtout, les républicains attaquent peut-être à tort le militantisme supposé des juges de l’ouest américain. “Les années Reagan et Bush ont permis de rééquilibrer un peu la balance entre les juges libéraux et les conservateurs. Il existe dorénavant une véritable diversité idéologique parmi les 29 juges de la cour d’appel”, souligne le site américain d’information Vox. Plusieurs études académiques ont conclu que d’autres circuits, à commencer par le 1er (Boston), penche dorénavant plus à gauche que la cour d’appel de Californie.

Mais qu’importent ces nuances. “La droite a gardé une rancœur contre le 9e circuit”, résume Vox. Pour ce site, les juges californiens font, en outre, des boucs émissaires parfaits pour l’administration Trump. Il est plus facile de blâmer la prétendue motivation politique des juges plutôt que de reconnaître que des décisions, comme le décret anti-immigration ou l’état d’urgence, puissent être illégales.