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Algérie : dans la presse et dans la rue, la candidature de Bouteflika divise

"Candidature de trop" pour les uns, décision de raison pour les autres : l'annonce d'Abdelaziz Bouteflika de briguer un cinquième mandat à la tête de l'Algérie ne fait pas l'unanimité.

Après des mois de spéculations autour de ses intentions, Abdelaziz Bouteflika a annoncé, dimanche 10 février, sa candidature à un cinquième mandat par le biais d’un "message à la Nation" diffusée par l'agence officielle APS.

Âgé de 81 ans et au pouvoir depuis deux décennies, le chef de l'État algérien est cloué dans un fauteuil roulant depuis un accident vasculaire cérébral en 2013 qui a également affecté son élocution. Dans son message, Abdelaziz Bouteflika, dont la réélection en 2014 avait déjà suscité la perplexité, a admis des forces physiques amoindries. "La dernière fois qu’il s’est adressé directement au peuple algérien, c’était en 2012, à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance, rappelle Meriem Amellal, journaliste à France 24. Depuis, la presse algérienne a tendance à qualifier sa communication ‘d’épistolaire’ puisqu’il s’adresse à la population par des communiqués lus à la télévision."

Dans son communiqué, Abdelaziz Bouteflika n’a donc pas uniquement fait acte de candidature, il a également rappelé le bilan de ses quatre mandats écoulés et annoncé la tenue d’une "Conférence nationale" ouverte à l'opposition et destinée à accoucher de réformes institutionnelles, économiques et sociales.

"Faux suspense"

Avec cette annonce, Abdelaziz Bouteflika "met fin au faux suspense", écrit Le Soir d'Algérie. "Désormais officiellement candidat", il est "donc certain d'être toujours" aux commandes "au-delà du 18 avril", date de la présidentielle, estime la publication.

Incisif, le quotidien francophone El Watan déplore, lui, "une candidature qui fait peur", en la comparant à une roulette russe dans un dessin montrant Abdelaziz Bouteflika sous forme d'unique cartouche glissée dans un barillet de revolver. Un cinquième mandat d'Abdelaziz Bouteflika "ne fera qu'aggraver les maux des mandats antérieurs et donc accélérer le chaos du pays", s'inquiète le journal.

Abdelmalek Sellal, son directeur de campagne tout juste nommé, "va vendre du bluff" et devoir "convaincre les Algériens de donner leur voix à un homme pratiquement grabataire", écrit encore le journal. Pour le site d'information Tout sur l'Algérie (TSA), le chef de l'État est désormais "candidat à la présidence à vie". Mais "la soif de changement est palpable dans toutes les franges de la société et ce cinquième mandat se présente comme celui de trop", fait-il valoir, en notant qu’Abdelaziz Bouteflika est dans l'incapacité "de s'adresser directement à ses concitoyens depuis plus de six ans ou de mener sa campagne électorale sur le terrain".

Pour le quotidien francophone Liberté, "la pilule d'une candidature contestée d'un président très démuni physiquement a besoin de quelques promesses alléchantes pour mieux passer auprès d'une opinion publique quelque peu réfractaire" à un nouveau mandat. Pour le journal, Abdelaziz Bouteflika "promet de faire encore ce qu'il a été incapable de faire en 20 ans".

"Un bilan élogieux"

Au micro de France 24, le Premier ministre Ahmed Ouyahia a pour sa part rappelé que durant sa présidence, Abdelaziz Bouteflika avait "relevé le défi de mettre tous les Algériens autour d'une même table après le bain de sang qu'on a connu [la guerre civile entre 1992 et 2002, NDLR]". "Le bilan de ces cinq années durant lesquelles il a dirigé le pays malgré son handicap médical est des plus élogieux, a-t-il ajouté. Pourquoi, demain, il ne serait pas de même qualité ?"

Ainsi, le quotidien Reporters salue ces propositions de "réforme profonde", y voyant une "proposition pour une transition consensuelle [...] devenue inéluctable" et "des "perspectives ouvertes pour l'opposition demandeuse d'un changement de fond".

Dans les rues d'Alger, l'annonce du président semble diviser. Aïcha Zaidi, femme de ménage quinquagénaire a vécu "25 ans dans un gourbi". "Grâce à lui, j'ai un logement décent pour ma famille. Alors je vote pour" Abdelaziz Bouteflika, a-t-elle confié à l'AFP, en plein centre d'Alger. Said Salem, 65 ans, "veut la paix", alors il votera pour le chef de l'État "au lieu des autres qu'on ne connaît pas".

À l'inverse, Hamid Bramimi, autre retraité de 75 ans, clame sa "honte" : "Nous sommes devenus la risée du monde avec un président invisible". Faiza, vendeuse, la cinquantaine, n'ira pas voter : cette candidature "était prévisible comme le nez au milieu de la figure" et Abdelaziz Bouteflika "passera" quoi qu'il en soit, lance-t-elle. Pour Said Benmohamed, quadragénaire exerçant une "profession libérale", "tant que c'est le même pouvoir, lui ou un autre, c'est kif-kif".

"Il y a deux générations d'Algériens, résume Meriem Amellal. Ceux qui ont vécu la guerre d'indépendance, le terrorisme, les violences et qui ont tendance à priviligéier la paix et la sécurité ; et puis il y a cette jeunesse qui n'a connu qu'Abdelaziz Bouteflika, la crise économique, le chômage, et on ne sait pas comment elle réagira en cas de victoire du président sortant".

Avec AFP