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Bruno Le Maire refuse d’interdire l'E171, un additif alimentaire controversé

Malgré le vote du Parlement, le ministre français de l’Économie ne compte pas signer un arrêté, dans l'immédiat, du dioxyde de titane. Cet additif alimentaire est pourtant soupçonné depuis des années par des ONG d’être cancérigène pour l’Homme.

Elles attendaient, elles espéraient, mais finalement Bruno Le Maire a décidé que le recours à un additif alimentaire controversé, soupçonné d’être cancérigène, ne serait pas interdit à l’industrie alimentaire. Le ministre français de l’Économie a annoncé, mardi 8 janvier, qu’il ne signerait pas dans l’immédiat le décret d’application d’une mesure de la loi alimentation de novembre 2018 qui suspend l’utilisation du dioxyde de titane ou E171, malgré les appels répétés en ce sens de plusieurs associations depuis des mois, voire des années. Il estime qu’il n’y a pas, en l’état actuel des connaissances, de preuve d’un “danger grave et immédiat” pour la santé humaine.

Cet additif, aussi utilisé comme colorant, est très commun dans certains desserts ou plats préparés vendus en grande surface, mais se retrouve aussi dans des cosmétiques, des dentifrices ou encore des peintures industrielles.

Cancérigène possible

Depuis 2016, des associations comme Agir pour l’environnement assurent qu’il faudrait mieux s’en passer. La raison : le dioxyde de titane est composé de nanoparticules qui, une fois dans le corps, peuvent se loger dans des organes sensibles comme le foie, les poumons ou encore le colon. Elles s’y accumulent au risque de provoquer des problèmes de santé.

Lesquels ? C’est là que l’affaire se corse. Pour les ONG, qui ont publié une lettre ouverte au gouvernement dans Le Monde en décembre 2018 pour demander l’interdiction de cet additif alimentaire, les résultats scientifiques indiquent que le dioxyde de titane peut provoquer des cancers. Le patron de Bercy assure, quant à lui, qu’il n’y a pas de consensus.

Tout est, en fait, question d’interprétation. “Il y a eu plus de 350 publications scientifiques depuis 2000 sur le dioxyde de titane, sans pour autant aboutir à des conclusions définitives”, a constaté Harald Krug, toxicologue à l’Université de Bern, interrogé par les médias allemands.

En 2006, le Centre international de recherche sur le cancer classe pourtant cet additif alimentaire dans la catégorie des “cancérigènes possibles pour l’Homme”. En France, une étude de l’Inra de 2017 conclut que chez le rat, l’exposition au dioxyde de titane à des “niveaux acceptables” entraînait un risque d’inflammation accrue et pouvait aussi faciliter la survenue de lésions précancéreuses. Les auteurs de ces recherches, qui ont suscité des inquiétudes jusqu’à Bruxelles, ont cependant précisé que leurs conclusions ne pouvaient pas être transposées à l’Homme.

En parallèle à ces travaux, l’Agence nationale de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a saisi la Commission européenne du cas de l’E171. En juin 2017, l’Agence européenne des produits chimiques conclut, à son tour, que ce produit pouvait “être soupçonné de provoquer des cancers”.

Bercy s’en remet aux industriels

Mais cette instance européenne précisait que ce constat ne valait que si le dioxyde de titane était inhalé. En d’autres termes, Bruxelles se refuse, faute de preuve scientifique suffisante, d’évoquer les cas des aliments dopés à l’E171. En outre, subtilité du jargon européen, l’agence ne classe pas ces nanoparticules dans la catégorie des produits “présumés cancérigènes”.

C’est dans ces nuances que Bruno Le Maire s’est engouffré pour affirmer qu’il était urgent d’attendre pour suspendre l’utilisation de l’additif alimentaire faute de consensus. Il a précisé que “dans le doute, c’est aux industriels de s’abstenir”.

Une manière de botter en touche critiquée par les signataires de l’appel dans Le Monde. “Non : dans le doute, pour la sécurité sanitaire, c’est son devoir, en tant que ministre d’État, d’agir sans attendre afin de protéger ces (sic) concitoyens et donc de signer cet arrêté de suspension”, a répondu François Veillerette, directeur de Générations Futures, dans un communiqué.

Surtout, pour ces associations, le refus de signer le décret d’application est d’autant plus difficile à comprendre que l’E171 n’a aucune vertu nutritive. Sa seule raison d’être, d’après les scientifiques, est d’augmenter la blancheur de certains aliments ou de jouer sur les teintes de colorants. En revanche, il a une valeur économique évidente : chaque année, il y a environ 6,5 millions de tonnes de dioxyde de titane qui sont produites et vendues, notamment à l’industrie alimentaire, dans le monde.