Paris a décidé, lundi, d’instaurer une "taxe Gafa" dès le 1er janvier 2019. La France deviendrait ainsi le seul pays européen à appliquer une telle mesure pour imposer plus efficacement les géants du Net. Une démarche risquée.
Seule et avant tout le monde. La France a décidé d’instaurer, à partir du 1er janvier 2019, une “taxe Gafa”, c’est-à-dire une mesure spécifiquement conçue pour augmenter la contribution des géants de l’Internet à l’impôt dans l’Hexagone. Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a estimé, lundi 17 décembre, qu’elle rapporterait environ 500 millions d’euros.
Le gouvernement a décidé d’accélérer la mise en place de cette mesure, en gestation depuis des années, en réponse au mouvement des Gilets jaunes. Bercy a précisé que le fruit de la nouvelle taxe participera au financement des coups de pouce au pouvoir d’achat décidés le 10 décembre pour calmer la colère du mouvement social.
Une taxe aux contours flous
Sous pression de la rue, la France va devenir le premier pays européen à tester dans les faits une “taxe Gafa”. D’autres réfléchissent à un dispositif similaire, agacés par l’inventivité des géants du Net qui parviennent à diminuer le montant de l’impôt payé grâce à des montages fiscaux élaborés. Cinq états européens – l’Espagne, l’Italie, la Hongrie, la Slovaquie et la Grande-Bretagne – ont déjà des projets de loi dans les tiroirs pour y remédier. Rome avait même voté une loi en ce sens fin 2017, mais le texte n’a jamais été appliqué.

Comparé à ces derniers, Paris semble très mal préparé à dégainer une telle mesure dans les semaines à venir. “Il n’y avait absolument aucune proposition de législation française sur la table, et on a l’impression que Bruno Le Maire a dû trouver dans l’urgence un moyen de collecter 500 millions d’euros”, remarque Antoine Colonna d’Istria, associé au cabinet d’avocats Norton Rose Fulbright, contacté par France 24.
Résultat : les contours de la taxe française demeurent flous pour l’instant. Pour des raisons de calendrier, le scénario le plus probable est que le gouvernement transpose au niveau national le projet que Paris défend depuis plus d’un an à l’échelle européenne. Il s’agirait d’une taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires des groupes aux revenus mondiaux supérieurs à 750 millions d’euros et qui gagnent plus de 50 millions d’euros en Europe.
L’assiette tiendrait compte des revenus publicitaires, des ventes effectuées sur les plateformes en ligne (les achats faits sur Amazon.fr, par exemple) et du commerce des données personnelles. La France avait échoué à imposer sa vision à Bruxelles face à des pays aux intérêts fiscaux bien compris – tels que l’Irlande ou le Luxembourg – et à l’Allemagne qui milite pour une solution moins ambitieuse, à savoir l'instauration d’une taxe sur les seuls revenus publicitaires.
Taxer le chiffre d’affaires ou les profits ?
Face à cette impasse européenne, Paris a décidé de faire cavalier seul alors que le gouvernement insistait jusqu’à présent sur la nécessité de s’attaquer ensemble aux Gafa. ”Le principal risque provient de Washington qui pourrait décider de mesures de rétorsion contre un pays qui, comme la France, agirait de manière isolée”, note Antoine Colonna d’Istria. Les réticences de Berlin s’expliquent, en partie, par la crainte de provoquer un retour de bâton américain dirigé contre son industrie automobile, a souligné la presse allemande.
Faute de précédent, nul ne sait non plus si cette taxe va s’avérer efficace à long terme. Fiscalement, “taxer le chiffre d’affaires ne revient pas au même que de s’en prendre aux profits”, rappelle l’avocat français. Une entreprise peut générer un chiffre d’affaires très important tout en affichant des pertes. C’est ainsi qu’Amazon n’a, pendant des années, pas fait de profits malgré des revenus élevés, à cause d’investissements à la pelle.
Le risque, souligné par Antoine Colonna d’Istria, est que cette approche de la taxation décourage des sociétés high-tech en plein essor de lancer leur service en France. La raison : ils pourraient craindre de payer la “taxe Gafa” alors même que leurs profits n’ont rien à voir avec ceux d’un Google ou d'un Facebook. Une situation qui ne cadrerait pas avec l’image d’une France à la pointe de l’innovation défendue par Emmanuel Macron.