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Copa Libertadores : River Plate – Boca Juniors, une finale au pays des "conquistadores"

Il aura fallu attendre la 59e édition de la Copa Libertadores pour que la prestigieuse compétition sud-américaine de football quitte le continent. Une ultime polémique pour cette cuvée 2018, dont la finale maintes fois reportée se jouera... à Madrid.

Dimanche 9 décembre, près d’un mois après le magnifique spectacle de la finale aller de la Copa Libertadores, le champion d’Amérique du Sud sera enfin couronné. Vingt-huit jours… Une éternité à l’échelle du temps footballistique qui illustre parfaitement le terrible destin de cette édition 2018 : le "match du siècle" s’est transformé en fiasco du siècle pour la Conmebol, l’instance décisionnaire du football sud-américain.

Tout avait pourtant parfaitement débuté : une affiche de rêve entre les deux plus grands clubs argentins, Boca Juniors et River Plate, et une finale aller prolifique (2-2), qui plus est disputée dans une ambiance de folie. La publicité pour le football sud-américain était idéale.

???? ¡Así fue el recibimiento de #Boca!#JugamosTodos#VamosBoca ???? pic.twitter.com/Z1Iumg61pU

  Boca Jrs. Oficial ???????? (@BocaJrsOficial) 11 novembre 2018

Sauf que derrière, tout bascule au rythme d’une improbable tragédie. À Buenos Aires, au soir de la finale retour, le dimanche 24 novembre, la folie qui entoure le "superclásico" argentin finit par déborder. Aux abords de l’Estadio Monumental de River Plate, le bus de Boca Juniors est pris à partie par des supporters des Millonarios. Briques, bouteilles, gaz lacrymogènes… une pluie de projectiles et un déchaînement de violence qui laisse sur le carreau plusieurs joueurs et dont les images font le tour du monde. Quelques heures d’incertitude plus tard, la rencontre est finalement reportée.

S’en suit une véritable "telenovela" en coulisses. Le "gentlemen’s agreement" signé par les présidents de Boca et River au soir du report, et qui prévoyait que le match se tienne bien au Monumental le lendemain à 17 heures locales, vole en éclats. Le patron de Boca Juniors souhaite un nouvel ajournement, accepté par la Conmebol. Mais surtout, il dépose en parallèle une requête pour obtenir l’attribution du titre sur tapis vert. Une demande qui n’aboutit pas, mais qui ajoute une pointe de ridicule à une affaire déjà franchement honteuse.

La coupe des "conquistadores"

Le symbole est déjà bien ébranlé… et la Conmebol se charge de lui asséner un coup fatal. Le 29 novembre, deux jours après une réunion au sommet à Asuncion, au Paraguay, le couperet tombe : l’Argentine n’aura pas droit à sa finale retour. L’instance dirigeante, qui invoque un contexte sécuritaire trop instable, décide de délocaliser la rencontre à… Madrid.

Le camouflet pour les Argentins est total, mais sa résonnance est cette fois continentale. Joyau du football sud-américain, la "Coupe des Libérateurs de l’Amérique", dénommée ainsi depuis 1965, sera remise sur une pelouse de la capitale de l’ancienne puissance coloniale. Pragmatique, la Conmebol rappelle que "Madrid a tout ce qu’il faut", que "l’Espagne accueille la plus grande communauté d’expatriés argentins au monde", ou encore que "son aéroport est particulièrement bien desservi depuis l’Amérique latine".

Factuellement incontestable, diplomatiquement désastreux. Quand bien même le Santiago-Bernabeu du Real est l’un des plus beaux écrins d’Europe, rompu à l’organisation de rencontres de gala, la pilule a du mal à passer de l’autre côté de l’Atlantique. Quitte à délocaliser la rencontre, d’autres options semblaient nettement moins polémiques. La ville de Gênes, dont les émigrants avaient fondé les deux clubs finalistes un siècle plus tôt, à Buenos Aires, avait par exemple fait acte de candidature : ou comment s’appuyer sur l’histoire pour, dans ce cas précis, éviter une polémique de plus. Avec le choix de Madrid, la Conmebol a préféré souffler sur les braises.

#LaTapaDeOlé | Viernes 30 de noviembre pic.twitter.com/YhGL9AQNs8

  Diario Olé (@DiarioOle) 30 novembre 2018

Au lendemain de l’annonce, un célèbre quotidien sportif argentin laisse même échapper un "Putain !" en une, regrettant la délocalisation d’une compétition qu’il qualifie de Copa "Conquistadores". Une référence lourde de sens aux colons qui ont placé le continent sous domination espagnole dès le début du XVIe siècle. Depuis, l’occurrence "Copa Conquistadores" est devenue l’une des stars des réseaux sociaux, et les "memes", ces contenus viraux souvent grinçants, inondent la toile.

Dimanche soir, dans un contexte loin d’être idéal, Boca Juniors et River Plate se disputeront ainsi le privilège de soulever la "Copa". Sur les coups de 23 heures locales, devant un stade plein, l’un des deux géants du football argentin trônera à nouveau sur le football continental tandis que, dans les coulisses, la Conmebol se satisfera probablement d’avoir sauvé le coup. Du côté de Madrid, on pourra se réjouir d’une belle opération politique, mais surtout économique, puisque les retombées de l’événement ont été estimées à quelque 42 millions d’euros.

Rien qui ne pourra toutefois effacer le sentiment tenace d’un immense gâchis, dont les supporters des deux camps auront été les premières victimes. Fiasco absolu résumé en une phrase par l’Argentin Santiago Solari, pour qui "des cœurs ont été brisés". Un constat d’autant plus fort qu’il émane de l’actuel directeur technique du… Real Madrid.