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Syrie : Washington pris en étau entre son allié turc et ses protégés kurdes

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a haussé le ton ces derniers jours contre les milices kurdes du nord de la Syrie. Elles sont pour les États-Unis, qui les soutiennent, une source de frictions avec Ankara, leur allié au sein de l’Otan.

Menaces et pilonnages : le président turc Recep Tayyip Erdogan reste déterminé à éradiquer les influentes Unités de protection du peuple (YPG), la principale force kurde de Syrie active dans le nord du pays. Ces derniers jours, il a de nouveau pris pour cible la milice kurde , qu’il qualifie de " terroriste " , bombardant certaines de ses positions à l'est de l'Euphrate et surtout la menaçant d'une nouvelle offensive de grande ampleur.

Au grand dam de l’administration américaine, qui est coincée entre ses protégés kurdes, partenaires clés de Washington dans la lutte contre l'organisation État islamique (EI) au sein d'une alliance kurdo-arabe baptisée Forces démocratiques syriennes (FDS), et son allié turc au sein de l’Otan.

Washington voit d’un mauvais œil cette escalade militaire, qui pourrait mettre en danger les soldats américains déployés dans la zone et qui a provoqué l’arrêt des opérations contre l’EI. En effet, en signe de protestation contre les bombardements turcs contre leurs positions, les YPG ont annoncé la suspension temporaire d'une offensive menée contre les jihadistes dans l'est syrien.

Signe de l’importance du dossier, les présidents Donald Trump et Recep Tayyip Erdogan se sont entretenus au téléphone jeudi 1er novembre, principalement sur la question du nord de la Syrie, où les Turcs refusent de voir une entité kurde s’établir à leur frontière. Et ce au nom de leur sécurité nationale, craignant que cette présence ne provoque une agitation indépendantiste chez les Kurdes de Turquie.

"Le soutien américain aux forces kurdes est toujours mal perçu par Ankara, et il est difficile de savoir si la tension va s’apaiser, même si selon les communiqués des présidences turque et américaine publiés à la suite de l’entretien téléphonique, les deux puissances se sont promises de collaborer plus étroitement dans les prochains jours dans cette zone", indique Fatma Kizilboga, correspondante de France 24 à Istanbul.

Des patrouilles conjointes exigées par Ankara

En signe d’apaisement, les États-Unis ont entamé jeudi des patrouilles conjointes avec l’armée turque aux abords de Manbij, dans le nord de la Syrie. Cette localité stratégique située près de la frontière turque fait partie d'un territoire autonome contrôlé par les Kurdes, depuis sa libération des jihadistes de l’EI en 2016. La protection de la ville est confiée au Conseil militaire de Manbij, issu de la population locale et allié aux FDS, qui refuse toute présence militaire turque dans l’enceinte de la ville.

"Ces patrouilles étaient très attendues, elles étaient une exigence d’Ankara, et il semble que Washington ait cédé aux pressions de la Turquie, qui bombarde depuis plusieurs jours les positions kurdes de l’autre côté de sa frontière", estime Fatma Kizilboga.

À la suite d’un accord entre Washington et Ankara début juin, une "feuille de route" américano-turque prévoyait notamment l'instauration de ces patrouilles conjointes. Jusqu’ici, seules des patrouilles séparées mais "coordonnées" étaient menées. Les patrouilles se déroulent le long de la ligne de séparation entre, d'une part, les territoires contrôlés par le Conseil militaire de Manbij, allié aux YPG et les FDS, et, d'autre part, la zone contrôlée par l'armée turque dans le nord de la Syrie.

En s’affichant côte à côte avec l’armée américaine, l’armée turque envoie un message à l’ensemble de la région. "Le président Erdogan, via la pression militaire, a franchi un pas pour démontrer qu’il était déterminé sur ce dossier", explique Jaouad Gok, politologue basé à Istanbul, joint par l’antenne arabe de France   24. "Il essaye de marquer des points politiques et de renforcer ses positions d’acteur incontournable du conflit en Syrie avant d’éventuelles négociations sur le sort de la région".

Les Kurdes en appellent à la communauté internationale

De leur côté, les YPG, qui appellent la communauté internationale et la coalition anti-EI dirigée par Washington à contenir les "velléités belliqueuses" de Recep Tayyip Erdogan, avaient annoncé en   juin dernier le départ de leurs derniers conseillers militaires de Manbij. Ce que la Turquie, qui a mené deux opérations contre les forces kurdes depuis   2016, conteste en se plaignant de la présence continue de membres de la milice dans la zone.

"Il n’est pas question de répondre aux exigences d’Ankara qui n’a pas à se mêler de questions qui ne concernent que le peuple kurde qui, lui, s’est battu contre les terroristes de Daech", prévient le porte-parole des YPG Nouri Mahmoud, interrogé par France   24. "Comment est-il possible de croire que nous allons abandonner nos foyers, que nous allons quitter la terre et la région qui nous a vu naître et sur laquelle nous vivons depuis des générations   ?"

Il dit espérer que les États-Unis parviennent à mettre un terme aux menaces turques. "Les Américains ont exprimé leur inquiétude face aux menaces turques, nous espérons qu’ils fassent en sorte que cette guerre qui est menée contre notre peuple cesse", ajoute-t-il. "Ce qui prouvera que la coalition, avec laquelle nous avons remporté plusieurs victoires, est sérieuse dans sa lutte contre Daech, et qu’elle veut continuer à jouer son rôle à nos côtés".

Les FDS ont dénoncé ces derniers jours une "synchronisation suspecte" entre les bombardements turcs et les contre-attaques de l’EI survenues dans l'est syrien. "La Turquie cherche à protéger le programme extrémiste de Daech en s’en prenant à nous, qui sommes la seule alternative aux jihadistes", assène Nouri Mahmoud.