Un ancien gynécologue de 85 ans a été reconnu coupable lundi dans le premier procès en Espagne des "bébés volés" du franquisme. Il n'a toutefois pas été condamné en raison de la prescription des faits. Le parquet avait requis 11 ans de prison.
C'est une victoire en demi-teinte pour Ines Madrigal. Employée des chemins de fer en Espagne, cette femme de 50 ans accusait l'ex-gynécologue Eduardo Vela de l'avoir séparé de sa mère biologique et d'avoir falsifié son acte de naissance en juin 1969, pour la donner à une femme stérile. Le tribunal madrilène en charge de l'affaire a reconnu l'obstétricien, âgé aujourd'hui de 86 ans, coupable sans le condamner en raison de la prescription des faits.
"Je suis partagée", a réagi Inès Madrigal, qui va faire appel devant la Cour suprême. "Evidemment, je suis contente parce qu'il est reconnu qu'Eduardo Vela a fait tout ce qu'il a fait mais je ne pensais pas que les juges s'arrêteraient à la question de la prescription", a-t-elle dit.
Le parquet avait requis onze ans de prison contre cet ex-médecin de la clinique San Ramon de Madrid, sur le banc des accusés grâce au témoignage de la mère d'Inès Madrigal, Inès Pérez, décédée depuis. Cette dernière, qui ne pouvait pas avoir d'enfant, a raconté que le docteur Vela lui avait proposé un bébé. Il lui avait demandé de simuler une grossesse, puis l'avait déclarée comme la mère biologique du nouveau-né.
Prescription
La question de la prescription a été au centre de la décision des juges madrilènes, qui reconnaissent eux-mêmes qu'elle fait l'objet d'un "grand débat judiciaire". Selon eux, Mme Madrigal ayant appris à sa majorité en 1987 qu'elle avait été adoptée, le délai de prescription de 10 ans du délit de "détention illégale", le plus grave dont était accusé M. Vela, a commencé à courir à cette date. Et les faits étaient donc prescrits en 2012, lors du dépôt de sa plainte.
"Si le mot prescription avait été effacé aujourd'hui, bien d'autres cas auraient eu un espoir d'aller de l'avant", a dénoncé Irene Meca, une autre victime âgée de 65 ans qui a appris à 15 ans qu'elle avait été adoptée, mais beaucoup plus tard que ses parents l'avaient achetée.
Né pendant la répression qui a suivi la guerre civile (1936-1939) pour soustraire les enfants à des opposantes accusées de leur transmettre le "gène" du marxisme, le trafic a touché à partir des années 1950 des enfants nés hors mariage ou dans des familles pauvres ou très nombreuses.
Souvent avec la complicité de l'Église catholique, les enfants étaient retirés à leurs parents après l'accouchement, déclarés morts sans qu'on leur en fournisse la preuve, et adoptés par des couples stériles, de préférence proches du régime "national-catholique".
Le trafic a ensuite perduré sous la démocratie, au moins jusqu'en 1987, cette fois uniquement pour des raisons financières. Le phénomène aurait touché beaucoup plus de familles qu'en Argentine, où quelque 500 nouveaux-nés ont été arrachés à des détenues pendant la dictature militaire (1976-1983) et confiés en adoption à des familles soutenant le régime.
Avec AFP et Reuters