Plus d'un siècle après, l'Allemagne a remis mercredi à la Namibie des ossements de membres des tribus Herero et Nama exterminés durant la période coloniale, dans un geste de réconciliation jugé toutefois très insuffisant par leurs descendants.
Lors d'une cérémonie religieuse à Berlin mercredi 29 août, une délégation namibienne conduite par la ministre de la Culture, Katrina Hanse-Himarwa, a reçu 19 crânes et des ossements des tribus Herero et Nama, ainsi qu'un scalp pris par les forces coloniales allemandes il y a plus d'un siècle. Après 2011 et 2016, c'est la troisième fois que l'Allemagne restitue des ossements de ces tribus à la Namibie. La plupart des dépouilles proviennent de la collection anthropologique de la clinique universitaire berlinoise Charité.
Cette manifestation irrite fortement les représentants des deux ethnies, victimes de ce que les historiens considèrent comme le premier génocide du XXe siècle, commis à partir de 1904.
Le comportement de l'Allemagne est "choquant", a dénoncé à Berlin Esther Utjiua Muinjangue, présidente de la fondation Ova Herero Genocide, pour qui cette restitution aurait dû être l'occasion pour le pays de présenter enfin officiellement des excuses, à même de "guérir les blessures émotionnelles".
Pas encore d'excuses
L'Allemagne a "encore fort à faire" pour assumer son passé colonial sur ce territoire africain (1884-1915), a reconnu cette semaine la secrétaire d'État pour la politique culturelle internationale au ministère des Affaires étrangères, Michelle Müntefering, maîtresse de la cérémonie. Mercredi, il s'agit uniquement d'une remise d'ossements mais pas le cadre adéquat pour des excuses, a-t-elle argumenté.
Le gouvernement allemand a reconnu sa responsabilité dans les massacres et indiqué en 2016 qu'il prévoyait des excuses officielles dans le cadre de négociations avec la Namibie. Mais les discussions sont toujours en cours.
"Des réparations, une reconnaissance et des excuses" sont les conditions d'une normalisation des relations diplomatiques entre l'Allemagne et la Namibie, a rappelé à cet égard la ministre Katrina Hanse-Himarwa.
Au moins 70 000 morts
Le 12 janvier 1904, les Herero, privés de leurs terres et de leur bétail dans le territoire semi-désertique du Sud-Ouest africain (actuelle Namibie), se révoltent contre la puissance coloniale allemande, emmenés par le chef Samuel Maharero. Ils massacrent 123 civils allemands. La tribu plus petite des Nama se révolte également l'année suivante.
La répression est féroce. Après la sanglante bataille de Waterberg, en août 1904, quelque 80 000 Herero fuient avec femmes et enfants pour gagner le Botswana voisin. Les troupes allemandes les poursuivent à travers les étendues désertiques de l'actuel Kalahari, où seuls 15 000 survivent. En octobre 1904, le commandant militaire de la colonie, le général Lothar von Trotha, ordonne l'extermination des Herero, décrétant que "dans les frontières (coloniales) allemandes, tout Herero avec ou sans arme, avec ou sans bétail, devait être abattu".
Au total, quelque 60 000 Herero et environ 10 000 Nama meurent entre 1904 et 1908. L'Allemagne a aussi recours à des camps de concentration comme celui tristement célèbre de Shark Island. La puissance coloniale mène aussi des expériences scientifiques sur des "spécimens" d'une race jugée inférieure. Près de 300 crânes furent donc envoyés en Allemagne dans ce cadre pour prouver la supériorité des Blancs sur les Noirs.
Réparations financières
En 1924, un musée allemand a vendu certains de ces ossements à un collectionneur américain, qui en a ensuite fait don au musée d'histoire naturelle de New York. En 2008, l'ambassadeur de Namibie à Berlin a réclamé la restitution des crânes. "Il s'agit de retrouver notre dignité, de nous réapproprier notre histoire. Et il s'agit d'offrir à ces crânes une vraie sépulture", a-t-il déclaré. En 2011, l'Allemagne a restitué à la Namibie 20 crânes de guerriers herero et nama, accueillis à Windhoek par une foule de plusieurs milliers de personnes.
Mais Berlin a jusqu'ici refusé de payer des réparations financières, préférant des compensations sous forme d'aide au développement. L'Allemagne dit avoir déjà versé dans ce cadre des centaines de millions d'euros à la Namibie depuis son indépendance de l'Afrique du Sud en 1990. Mais c'est tout le pays qui en profite. Or, les seules victimes sont les tribus Herero, qui représentent environ 7 % de la population namibienne contre 40 % au début du XXe siècle, et les Nama. Leurs représentants ont lancé une procédure judiciaire à New York pour exiger des réparations directement aux descendants des deux ethnies exterminées.
Avec AFP