L’État brésilien frontalier de Roraima a prolongé de 6 mois "l'état d'urgence social" face à l'afflux de réfugiés vénézuéliens. Un exode qui exacerbe les tensions dans la petite ville frontalière de Pacaraima. Reportage.
Les yeux fixés vers l’horizon, Yorelis Rojas, 38 ans, n’a qu’un rêve : rejoindre Manaus, la capitale de l’Amazonie brésilienne. Pendant cinq jours d’un trajet éprouvant depuis le centre du Venezuela, elle a parcouru 700 km à pied ou en bus avec sa fille de 15 ans et son fils de 2 ans pour atteindre le petit poste frontière de Pacaraima. Oubliés Ciudad Bolivar, et le riz blanc pour tout repas, le rêve semble enfin à portée de main.
Là-bas, au Brésil, "mon frère et mon oncle ont un petit appartement bien confortable, confie-t-elle. La vie est belle, on peut aller au supermarché et acheter tout ce que l’on veut !"
Mais la réalité reprend vite ses droits. Il est trop tard pour passer la frontière. Avec ses deux valises et un coussin, elle improvise un campement de fortune sur un parking pour poids-lourds abandonné.
Autour d’elle, une quarantaine de compatriotes – étudiants, assistantes maternelles, haut fonctionnaires – tentent de trouver le sommeil en attendant aux pieds d’un vieux drapeau vénézuélien et du panneau indiquant “frontière Venezuela/Brésil”.
Yorelis attend que son frère lui envoie de l’argent pour pouvoir payer le bus jusqu’à Boa Vista, puis Manaus. Elle n’a plus un bolívar en poche. De toute façon, si elle en avait cela ne servirait qu’à alimenter le feu de bois. L’inflation et la nouvelle monnaie imposée par Nicolas Maduro ont eu raison de ses maigres économies.
Campement incendié
À 4 h 30 du matin, les gardes les somment de quitter les lieux pour s’installer dans le campement monté par l’armée brésilienne et le Haut-commissariat aux réfugiés, à quelques mètres de la frontière. Sous les grandes tentes blanches, les soldats enregistrent les documents des migrants vénézuéliens, leur distribuent formulaires de visas et soins médicaux.
Mais les installations sont déjà presque saturées : depuis le mois de mars, le Brésil y reçoit entre 500 et 800 migrants par jour. Rojelio en sait quelque chose. Ce maçon de 32 ans, arrivé au Brésil il y a plusieurs mois, est retourné chercher sa femme, ses trois enfants et sa belle-mère au Venezuela. Son dernier-né a 2 mois à peine. “Il a déjà dormi deux nuits dans la rue”, raconte-t-il. Ses économies réunies grâce à son travail au Brésil n’ont pas suffi à payer les tickets de bus de toute la famille, alors ils ont dû dormir à la gare routière.
Le colonel Zanatta a lancé la construction d’un nouveau campement de plus de 500 lits, pour éviter que les Vénézuéliens ne dorment dans les rues de la petite ville frontalière. Depuis la semaine dernière, en effet, les habitants de Pacaraima grincent des dents : trop de monde dans les rues, trop de saleté, trop de vols. Un cocktail explosif qui a poussé des centaines de locaux à descendre dans la rue après l’agression d’un commerçant, qu’ils attribuent aux Vénézuéliens.
Un campement a été incendié et un autre détruit. La plupart des occupants ont fui, préférant retourner sur leurs pas et dormir entre les deux frontières plutôt que de risquer de se faire lyncher.
Un commerçant interpelle les journalistes : “Vous venez montrer la réalité ? Vous venez montrer comment on est volés ? Comment la prostitution et la violence gangrènent nos rues ? Ou vous êtes là pour défendre ces voleurs ?!”. Sa voiture est parée d’un autocollant “Je vote pour Bolsonaro”, le candidat de l’extrême droite à la présidentielle brésilienne d'octobre prochain. Parmi ses promesses de campagne, Jair Bolsonaro a annoncé vouloir créer des camps de rétention pour les réfugiés vénézuéliens.
"Pauvres contre pauvres"
Depuis le début de la crise vénézuélienne, plus de 120 000 personnes sont passées par cette petite ville sans charme qui ne compte, elle, que 12 000 âmes. Alors les rancœurs s’accumulent contre l’État brésilien qui, jusqu’il y a peu, n’avait pas pris la mesure du flux migratoire dans l’État de Roraima, l’un des plus pauvres du pays.
Dans la petite paroisse des “Migrants” du Padre José, un Espagnol installé dans la région depuis plus de 20 ans, les Vénézuéliens viennent prendre le petit déjeuner offert à l’église. Un café, quelques gâteaux secs et une main amicale qui les réconforte dans leur langue maternelle. Le religieux est lucide : “C’est une guerre de pauvres contre pauvres qu’on vit ici. Nous sommes assis sur un volcan qui menace à tout instant d’entrer en éruption. Les violences de la semaine dernière se reproduiront, cela ne fait aucun doute”.
Rojelio, lui, est soulagé. Il a réussi à trouver un taxi collectif et quitte l’enfer de Pacaraima pour emmener sa famille dans son nouveau chez lui, à Boa Vista, à 200 km de là. Plus question de dormir dans la rue, plus question de manger du riz blanc. Une nouvelle vie les attend.