La politique de Donald Trump a des effets sur les géants de la Tech. Amazon ou Google doivent, en effet, gérer des critiques de leurs utilisateurs comme de leurs salariés dès que leurs affaires touchent de trop près la sphère politique.
Entre remises en question de contrats publics, censure de posts et révoltes en interne, Google, Microsoft, Amazon, TripAdvisor et d’autres se retrouvent en terrain politiquement glissant aux États-Unis. Impossible pour les géants américains de l’Internet d’échapper à l’avalanche de polémiques engendrées par la politique de l’administration Trump ces dernières semaines, telles que la séparation forcée des familles de migrants à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, ou le refus d’un restaurant de servir Sarah Sanders, la porte-parole de la Maison Blanche.
Ce dernier incident illustre à quel point le fossé politique qui s’est creusé entre partisans et détracteurs de Donald Trump affecte le quotidien des plateformes numériques. Les sites de recommandation de restaurants et commerces TripAdvisor et Yelp doivent, depuis lundi 25 juin, faire un ménage constant dans les commentaires concernant le restaurant Red Hen. Cet établissement de Lexington (en Virginie) avait refusé, vendredi 22 juin, de servir Sarah Sanders pour protester contre la politique migratoire du président américain. Un week-end et un tweet Donald Trump plus tard, les pages TripAdvisor et Yelp du Red Hen avaient été prises d’assaut par les sympathisants républicains en colère. Appels au boycott, menaces contre les propriétaires, insultes : les commentaires n’avaient plus rien de culinaire.
L’impossible neutralité
D’autres sites ont, aussi, tenté de maintenir un semblant de neutralité dans une Amérique de plus en plus divisée. L’artiste numérique américain Sam Lavigne l’a appris à ses dépens, lorsqu’il a posté, le 20 juin, sur GitHub (le plus important site communautaire de développeurs informatiques au monde, et propriété de Microsoft), une liste de 1 500 profils LinkedIn de gardes-frontières et d’employés des services d’immigration. GitHub a rapidement censuré cette critique de la politique migratoire de Donald Trump.Twitter a également fait disparaître toute reprise sur sa plateforme de la liste. Le site de blogs Medium a, pour sa part, retiré la justification que Sam Lavigne avait rédigé pour son initiative.
Cette rapidité des services en ligne à faire disparaître toute trace susceptible d’être interprétée comme une preuve de parti pris politique a fait grincer les dents de bon nombre d’internautes américains. Certains de ces mêmes sites ont été épinglés à d’autres occasions pour leur manque de réactivité. Twitter, notamment, a régulièrement été critiqué pour ne pas être suffisamment alerte dans sa chasse aux faux comptes pro-Trump ou aux discours haineux.
Mais ils ont appris des erreurs d’autres stars de la Silicon Valley. Sous la pression des critiques et suite à un boycott de l'application, Travis Kalanick, alors PDG d'Uber, avait dû se récuser du conseil consultatif économique de Donald Trump, quelques semaines après avoir accepté d’y siéger, en février 2017. Google s’est retiré, début juin 2018, d’un projet de partenariat avec le Pentagone, qui portait sur l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) dans le domaine militaire. Le géant du Web avait cédé à la pression interne de milliers d’employés, qui s’opposaient à ce que l’IA de Google soit mise au service d’une administration qui n’avait pas hésité à menacer d’utiliser “le gros bouton rouge” (nucléaire) contre la Corée du Nord.
Le facteur Trump
Amazon s’est aussi retrouvé, fin mai, confronté à une révolte interne après les révélations des médias sur Rekognition, un programme de reconnaissance faciale qui était proposé aux services de police. Dans un contexte politique de surenchère sécuritaire et de dérapages racistes dans le camp trumpiste, des salariés d’Amazon – mais aussi des organisations de défense des libertés individuelles – ont pressé le géant du commerce en ligne d'arrêter de courtiser une administration qui pouvait se servir de cette technologie à des fins de surveillance généralisée.
Les programmes controversés de Google et Amazon existaient déjà avant l’élection de Donald Trump, mais n’ont suscité la polémique qu’après son arrivée à la Maison Blanche. En fait, le facteur Trump a jeté l'opprobre sur des collaborations qui, dans d’autres circonstances, n’auraient pas ému grand monde. Microsoft et Salesforce (un géant américain du “cloud”) aidaient depuis des années les services de l’immigration à gérer leurs données en ligne. Ces partenariats n’avaient pas de lien avec la manière dont les migrants sont traités à leur arrivée sur le sol américain. Mais la situation était devenue tellement explosive que les salariés de Salesforce ont demandé à leur PDG de “réexaminer” le partenariat avec les services d’immigration, tandis que le patron de Microsoft, Satya Nadella, a dû publier une lettre ouverte pour dénoncer la séparation des enfants de leurs parents à la frontière. Il a même décidé de ne plus travailler avec les services d’immigration… tout en soulignant que le contrat ne concernait que “les emails, calendriers et services de messagerie”. Mais comme tout bon PDG de la Silicon Valley, Satya Nadella sait que l’image, tout comme le produit, c’est de l’argent.