
Affable, modeste, Tite fait l’unanimité : 15 % des Brésiliens verraient même le sélectionneur Président de la République ! En deux ans, il est devenu l’artisan de la renaissance d’une équipe traumatisée par son échec en 2014.
À 57 ans, Adenor Leonardo Bacchi, dit “Tite” (prononcer "titchi"), arrive en Russie pour le Mondial, fort d’un excellent bilan sportif et d’une immense aura extra-sportive.
Nommé en 2016 à la tête de la Seleçao après une nouvelle déconvenue (le Brésil avait été sorti de la Copa America au premier tour de la compétition), le technicien a brillamment qualifié son équipe pour la Coupe du monde, terminant en tête de la zone Amérique du Sud avec 10 points d’avance sur l’Uruguay.
Avec 11 victoires (dont le scalp de l’archi-rival argentin battu 3-0 le 10 novembre 2017 à Belo Horizonte) pour une seule défaite et 17 buts inscrit, pour un seul encaissé, le Brésilien fait l’unanimité.
Bilan sportif impeccable et personnalité rassembleuse
En quelques mois, Tite s’est imposé comme l’homme de la renaissance du foot brésilien. Tout d’abord avec un discours. "Transparence, démocratisation, excellence, et modernité" martèle-t-il en juin 2016 alors que l’opinion publique le pousse à une chasse aux sorcières pour exorciser la spirale de défaites et d’humiliations qui a suivi le traumatisme du 7-1, face à l’Allemagne, en demi-finale de "sa" Coupe du monde, en 2014, jouée à domicile.
En octobre 2016, il rappelle dans un rôle de remplaçant Thiago Silva, le défenseur central parisien devenu bouc émissaire de tous les déboires de la Seleçao. En quelques matches, il installe une équipe de titulaires quasi indiscutables et leur assigne une fonction similaire à celle qu’ils occupent en club.
La méthode fonctionne, les résultats sont au rendez-vous et le natif du Rio Grande do Sul impose peu à peu sa personnalité. Le sélectionneur se veut un guide rassurant aux valeurs morales exemplaires. Une image qu’il avait commencé à façonner entre 2010 et 2016 alors qu’il entrainait les Corinthians, club mythique de Sao Paulo avec qui il décrocha la Copa Libertadores en 2012.
Le sélectionneur brésilien le plus populaire depuis des décennies
Décriés, insultés, critiqués de toutes parts, les sélectionneurs de l’équipe nationale brésilienne vivent généralement un calvaire. Tite, lui, est consensuel et parvient à séduire les Brésiliens, qui s’identifient aisément à son parcours. Joueur modeste, il a patiemment franchi tous les échelons dans sa carrière d’entraîneur.
Dans l’équipe qu’il a bâti pour le Mondial-2018, il mise sur le groupe et non sur l'homme providentiel. Avant son arrivée, Neymar était le capitaine de la Seleçao (entre 2014 et 2016). Désormais, le brassard tourne presque à chaque match. Depuis des mois, Tite répète que la star parisienne ne bénéficie d’aucun régime de faveur au sein de la sélection brésilienne.
Des valeurs footballistiques qui reflètent sa personnalité quand il affirme que "l’outil éducatif le meilleur marché dont dispose le Brésil, c’est le football. Même à deux contre deux, il faut observer des règles. Socrates parlait beaucoup de cela…"
Le Socrates auquel Tite fait référence n’est ni philosophe ni grec. Il s’agit du "Ô Doutor", génial et fantasque milieu brésilien des années 80, adepte du beau jeu et militant politique engagé en faveur de la démocratie.
"Une dictature au Brésil n’est pas la solution"
Charmeur, posé, Tite aborde également avec les journalistes tous les sujets, y compris ceux ayant trait aux scandales de corruption qui ont éclaboussé la Confédération brésilienne de football (CBF) ou aux convulsions politiques qui agitent le Brésil depuis la destitution de la présidente Dilma Rousseff.
Dans une interview accordé au quotidien El País en mai, Tite écarte avec humour toute ambition politique et affirme au sujet de Jaïr Bolsonaro, le député d’extrême droite brésilien favori des sondages pour la présidentielle d’octobre, qu’il récuse toute forme d’extrémisme politique.
"En ce moment, je suis préoccupé par tous ces gens qui pense qu’une dictature pourrait être la solution à nos problèmes. Je me souviens très bien de la dictature (1964-1985, NDLR). Des gens étaient assassinés, il était interdit d’avoir une opinion, la liberté de la presse était limitée, la corruption s’étalait en toute impunité… Non, la dictature n’est absolument pas une solution (…) En tant que citoyen, je suis un supporter de l’égalité sociale et je veux que les corrompus soient punis. L’impunité, c’est quelque chose qui me blesse."
Le Brésil se cherche un sauveur qui l'arrachera à la descente aux enfers de ses institutions politiques et de son économie. Un costume que Tite ne veut pas endosser. En revanche, il pourrait être celui qui apporterait au pays tout entier la joie unificatrice de remporter une sixième Coupe du monde.