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"Nouvel antisémitisme" : derrière l'inquiétude, "des pulsions identitaires fixées sur l’islam"

Le manifeste "contre le nouvel antisémitisme", paru dimanche dans les colonnes du Parisien et signé par 250 personnalités, est accusé de stigmatiser les Français de confession musulmane.

"L’antisémitisme n’est pas l’affaire des juifs, c’est l’affaire de tous." Le manifeste "contre le nouvel antisémitisme", paru dimanche 22 avril dans le Parisien – avant la parution mercredi aux éditions Albin Michel du livre "Le nouvel antisémitisme en France" – et signé par 250 personnalités de tous horizons s’ouvre sur un énoncé qui fait consensus. Ce n’est pas le cas de la suite du texte qui a déclenché de vives critiques. Les signataires y dénoncent "l’épuration ethnique à bas bruit", dont serait victime la communauté juive en région parisienne et pressent les autorités musulmanes de "frapper d'obsolescence" les versets du Coran qui appelleraient "au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants".

Joint par France 24, le sociologue Michel Wieviorka, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialiste du racisme et de l’antisémitisme estime, de fait, que "le manifeste traduit surtout l'idée que l'antisémitisme contemporain est avant tout islamiste, voire musulman". Pour lui, "le texte est révélateur d'inquiétudes précises, chez les juifs de France mais aussi de pulsions identitaires qui se fixent avant tout sur l'islam". Le sociologue relève aussi que ce concept de "nouvel antisémitisme" n’a rien de nouveau : "On en parle depuis vingt-cinq ans, pour y voir une haine des juifs forte au sein de l'islam et encouragée par certains courants gauchistes".

Sans contester la réalité de l'antisémitisme en France, plusieurs responsables musulmans ont fait part, lundi, de leur indignation en déplorant la virulence du texte et l'opprobre jeté, selon eux, sur l'islam. "Le procès injuste et délirant d'antisémitisme fait aux citoyens français de confession musulmane et à l'islam de France à travers cette tribune présente le risque patent de dresser les communautés religieuses entre elles", a ainsi réagi le recteur de la grande mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, dans un communiqué.

"Attribuer l'antisémitisme à une "génétique coranique" quelconque est une erreur intellectuelle monumentale", estime pour sa part le recteur de la grande mosquée de Bordeaux Tareq Oubrou. Le Coran n'appelle pas au meurtre ; il appelle au combat des gens qui sont hostiles", a affirmé le dignitaire religieux à Francetv Info. "N'importe quel texte sacré est violent, même l'Évangile", a-t-il rappelé.

"Tous les meurtres de juifs ne sont pas le fait d'islamistes"

Le manifeste paru dimanche interpelle par sa brièveté : sept paragraphes. D’où le simplisme qui s’en dégage ? On relève ainsi, à la suite du journaliste Claude Askolovitch sur Slate, des maladresses comme cette apparente mise en concurrence entre victimes de confession juive et victimes de confession musulmane : "Les Français juifs ont 25 fois plus de risques d’être agressés que leurs concitoyens musulmans". S'ensuivent des raccourcis. Si le parquet a bien retenu l'hypothèse d'un homicide à caractère antisémite concernant Mireille Knoll, ce n’est à ce stade qu’une hypothèse, qui suscite la prudence des enquêteurs.

Confondre antisémitisme contemporain et "antisémitisme musulman" est réducteur, selon Michel Wieviorka : "La majorité des musulmans souhaitent en France s'intégrer, profondément. Et il y a de l'excès dans ce texte : tous les meurtres de juifs ne sont pas le fait d'islamistes. Et l'antisémitisme existe ailleurs, plus qu'il est suggéré, et pas seulement dans des petits cercles et réseaux d'extrême droite !".

Le refrain d’un antisémitisme contemporain avant tout musulman n’est pas pourtant nouveau. Le 12 janvier 2018, Antoine Gallimard s’agaçait dans le Monde de devoir renoncer à publier les écrits antisémites de Céline alors que, selon lui : "Aujourd’hui, l’antisémitisme n’est plus du côté des chrétiens mais des musulmans, et ils ne vont pas lire les textes de Céline".

L’historien spécialiste de la Shoah, Tal Bruttmann , avait alors réagi par un long message sur Facebook :  "L'antisémitisme d'aujourd'hui ne serait donc que le propre des musulmans. Un antisémitisme d'ailleurs sans aucune influence intellectuelle, d'instinct donc et pourquoi pas atavique, après tout", ironisait-il.

Et de poursuivre : "À ma connaissance, ni Alain Soral ni Dieudonné M'bala M'bala ne sont musulmans, et pourtant ils constituent les têtes d'affiches d'un antisémitisme, qui se porte à merveille. Oui, en effet dans leur auditoire il se trouve des musulmans (des Arabes, mais y'a aussi des gens d'origine turque et d'autres). Mais pas que. Et surtout pas une majorité. Parce que le public de Soral et M'Bala M'Bala, c'est aussi des braves petits gars (et filles) du Poitou ou des Ardennes. Oui, des juifs ont été assassinés par des jihadistes en France récemment. Et certains des jihadistes français, qui ont œuvré ici ou au Moyen-Orient, n'ont pas été formé dans les Madrassa du Pakistan, mais biberonnés ici, par des discours véhiculés par des Soral and Co. et pas uniquement par un islam radical, qui sait aussi fort bien construire un discours antisémite s'abreuvant à toutes ces sources. Penser que cet antisémitisme-là serait déconnecté de l'ensemble de la production antisémite, c'est ne rien connaître à cette histoire".

L’historien concluait par des mots qui semblent une réponse avec trois mois d’avance, au manifeste paru dimanche : "Ce n'est pas 'l'antisémitisme des musulmans', c'est l'antisémitisme tout court qu'il s'agit de combattre. Et certainement pas de le réduire à une catégorie de population, qui seule en aurait l'apanage".