Des groupes rebelles issus de l'ex-Séléka se sont regroupés dans une ville du nord de la Centrafrique et menacent d'attaquer Bangui. Cette intimidation est liée à l'échec d'une opération militaire de l'ONU dans le quartier du PK5 de la capitale.
Provocation ou réel danger ? En Centrafrique, deux des principaux groupes rebelles armés issus de l’ex-Séléka se sont regroupés depuis mi-avril à Kaga Bandoro, dans le nord du pays, et menacent d’une offensive sur la capitale, Bangui.
"L'option de descendre sur Bangui n'est pas exclue", a affirmé à l’AFP Aboubakar Sidik Ali, le chargé de communication d’un de ces groupes, baptisé le Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC), à l’issue d’une réunion "de coordination militaire" avec le Mouvement patriotique pour la Centrafrique (MPC), vendredi 13 avril.
Un troisième groupe, l’Union pour la paix en Centrafrique (UPC), basé dans la ville de Bambari, dans le centre du pays, doit décider vendredi 20 avril s’il rejoint ou non ce mouvement à la dynamique toujours incertaine, mais qui fait planer sur Bangui "une ambiance bizarre". "Tout le monde est dans l’expectative, même si la vie suit son cours", décrit une source sur place à France 24.
Le chercheur Roland Marchal, spécialiste du pays, ne croit pas la mise à exécution de cette menace, qui ferait revivre à la Centrafrique le scénario cauchemardesque de 2013, quand la Séléka, coalition hétéroclite de combattants du Nord, avait pénétré dans Bangui pour renverser le président François Bozizé. Depuis, le pays s’est enfoncé dans la crise : son territoire est désormais contrôlé à 80 % par des bandes armées et il vit une des pires crises humanitaires au monde. "C’est une gesticulation de plus dans cette crise. Ce n’est pas la première fois que ce type de menace est proféré", affirme-t-il à France 24.
L'échec de l'opération "Sukula"
Cette démonstration de force des ex-Séléka, qui se partagent aujourd’hui le nord du pays riche en ressources minières, est la conséquence directe d’une opération militaire conjointe de la Mission des Nations unies en Centrafrique (Minusca) et des forces centrafricaines de défense et de sécurité, menée la semaine dernière dans le quartier du PK5 de Bangui, dernière enclave de la capitale où vivent des musulmans.
Baptisée "Sukula", "nettoyage" en langue sango, cette opération visait à arrêter "le général Force", un chef de groupe d’autodéfense qui fait régnait la terreur dans ce quartier commerçant, où il s’adonne au racket. L'échec a été retentissant et a donné lieu à une poussée de violences telle que Bangui n’en avait pas connue depuis longtemps. Au moins 32 personnes sont mortes et 145 ont été blessées dans des affrontements entre militaires et soutiens de "Force", selon un nouveau bilan de la Croix-Rouge centrafricaine communiqué jeudi.
Les ex-Sélékas ont dénoncé une attaque contre les musulmans, politisant ainsi l'opération. "Cette situation risque de compromettre le processus de paix" de l'Union africaine, a déclaré dans un communiqué le FPRC.
"Tous ces groupes armés profitent des fautes politiques et militaires commises au PK5 pour montrer les muscles, pour montrer qu’ils existent politiquement", explique Roland Marchal, qui décrit des ex-Sélékas divisés, dépourvus de leadership.
"Dans l'impasse"
Le porte-parole de la Minusca, Vladimir Monteiro, a condamné "la manipulation et la désinformation sur l'objectif de cette opération, ainsi que son instrumentalisation par les groupes armés, notamment le FPRC et le MPC". "Ce n'est pas une opération qui vise les membres de la communauté musulmane, il ne faut pas faire de l'amalgame", a renchéri Ange Maxime Kazagui, ministre et porte-parole du gouvernement, rappelant qu’elle avait été lancée à la demande d’habitants du quartier.
Cette opération militaire est "un fiasco total, qui ternit encore davantage la réputation de la Minusca. D’un côté, cela a renforcé le 'général Force' dans son quartier, et de l'autre, cela a renforcé les plus extrémistes des 'anti-balaka' [milices d'auto-défense, NDLR], qui veulent qu'on assimile tous les musulmans aux gangs", déplore dans Le Monde un expert occidental à Bangui. Officiellement, la Minusca a annoncé que l’opération se poursuivait tandis que "Force" court toujours.
Au-delà de cet échec militaire, c'est la légitimité du président Faustin-Archange Touradéra qui est à nouveau remise en cause. "Deux ans après son élection, il n'a aucune stratégie", déplore Roland Marchal, qui décrit un pays "dans l’impasse".