Plus de 200 personnes ont été kidnappées au Kenya depuis le début de l'année. Les autorités, gangrénées par la corruption, semblent incapables de lutter efficacement contre ce phénomène d'une ampleur inédite.
Depuis la fin du conflit qui avait enflammé les relations interethniques entre Kikuyus et Luos, le Kenya est redevenu un pays relativement stable. Cependant un phénomène nouveau terrorise les Kenyans de toutes classes sociales : les enlèvements.
Winnie n’a pas revu son mari depuis trois mois. Les ravisseurs lui réclament 20 000 euros. Sans emploi, avec six petits-enfants sur les bras, elle n’a pu envoyer que 200 euros. Pas assez selon eux. Elle frémit désormais dès qu’elle voit le même numéro s’afficher sur son téléphone. Sans ressources, sans aide de la part de la police, elle désespère revoir son mari un jour.
"Je me sens vraiment mal parce que je ne sais même pas s’il est encore vivant ou s’il est mort, se lamente Winnie Waitherero Maina. Parce que maintenant, on ne peut même plus lui parler. Avant, quand j’étais encore en contact avec lui, au moins j’avais un espoir. Mais maintenant, ils me disent, tu ne lui parleras pas tant que tu n’envoies pas l’argent."
Kimutai Koin a, lui, eu plus de chance. Il conduisait pour rentrer chez lui et a été kidnappé juste devant l’entrée de sa résidence. Il a été relâché au bout de deux jours, car les ravisseurs visaient en fait un autre homme d’affaires plus riche que lui. "C’est vraiment une expérience horrible, admet-il. Tous avaient une arme à la main, certains en avaient même plusieurs. Ça fait peur. On te pointe un pistolet sur la tête, dans le dos… Tu peux vraiment t’attendre à tout."
L’incident s’est déroulé juste devant les yeux de son gardien qui travaille ici depuis vingt ans. Il n’a rien pu faire. "Nous n’avons pas de pistolets, les seules choses que l’on ait, ce sont des sifflets et des matraques. Rien d’autre. On ne peut rien faire tant que la police n’est pas arrivée", explique Joseph Mutinda .
La piste de la secte Mungkiki privilégiée
Onze cas ont été déclarés auprès de la police kenyane. Mais selon plusieurs sources, ce sont plus de 200 kidnappings qui ont eu lieu depuis le début de l’année. Un phénomène totalement nouveau dans le pays.
"C’est le groupe illégal Mungiki qui est responsable de ces kidnappings. C’est le pire genre d’agressions qui ait jamais eu lieu contre des citoyens innocents au Kenya… au moins depuis l’indépendance", s’alarme Eric Kiraithe, le porte-parole de la police kenyane.
La secte Mungiki, interdite depuis 2002, est protégée au plus haut niveau par certains hommes politiques. Elle a pris le contrôle des transports publics et de plusieurs bidonvilles de la capitale.
Le porte-parole de la secte, Njuguna Gitau Njuguna, est recherché par la police. Pour cette raison, il apparaît rarement devant les médias. Suivi en permanence par ses gardes du corps, qui dissimulent chacun un pistolet sous leur vêtement, il nie toute implication. "Il y a tellement de crimes commis qui ont été attribués aux Mungiki. Mais la police n’a jamais été capable, même une fois, de poursuivre quiconque".
Les kidnappings visent les Kenyans, riches ou pauvres. Les enfants sur le chemin de l’école sont aussi devenus une cible privilégiée. La plupart des familles, terrorisées, ne font pas appel à la police et paient des rançons qui se montent généralement à plusieurs milliers d’euros.