
La guerre contre les faux médicaments est déclarée au Bénin. Mi-mars, cinq grossistes pharmaceutiques ont été condamnés à quatre ans de prison et 150 000 euros de dommages et intérêts. Un jugement qui révèle l’ampleur du fléau dans le pays.
"J’ai été surpris et catastrophé par l’ampleur du phénomène. Que la plupart de nos grossistes s’approvisionnent à travers un réseau illicite !". Patrice Talon, le président du Bénin, n’a pas mâché ses mots, lors d’une rencontre vendredi 30 mars, avec les pharmaciens pour dénoncer le trafic de faux médicaments, dont souffre le pays.
Mardi 13 mars, le tribunal de première instance de Cotonou a condamné à quatre ans de prison ferme et 100 millions de francs CFA (150 000 euros) de dommages et intérêts, les responsables, dont un Français, des cinq grossistes-répartiteurs. Ces derniers, qui contrôlent une grande partie du marché du médicament au Bénin, comparaissaient pour “vente de médicaments falsifiés, exposition, détention en vue de vente, mise en vente ou vente de substances médicamenteuses falsifiées”. Il est reproché à Gapob, Ubipharm, Came, Ubephar et Promo Pharma d’avoir enfreint les procédures de mises sur le marché de médicaments et d’avoir entretenu un circuit illicite de médicaments.
Le Bénin est une grande zone de trafic de faux médicaments : près d’un tiers de ces produits distribués en Afrique sub-saharienne transitent par le port de Cotonou, selon l'Organisation mondiale de la santé. Chaque année, la prise de ces médicaments factices causerait la mort de 100 000 personnes. D'après la même source, un médicament sur 10 dans le monde est une contrefaçon, une moyenne pouvant atteindre sept sur 10 dans certains africains. Le chiffre d’affaires généré par la contrefaçon est estimé au minimum à 10 ou 15 % du marché pharmaceutique mondial, soit 100 à 150 milliards de dollars, voire 200 milliards, affirme une étude du World Economic Forum.
"Des produits mal conservés"
Les grossistes-répartiteurs béninois s’approvisionnent pour certains produits, comme le paracétamol ou le Normegyl (un traitement antiparasitaire), auprès de New Cesamex, un exploitant pharmaceutique indien basé en République démocratique du Congo. L’exploitant détient une autorisation de mise sur le marché du pays depuis 2008. "Mais leurs produits sont mal conservés dans des entrepôts non connus de l’État appartenant à un député, explique un pharmacien. Les médicaments sont donc faux, puisqu’ils sortent de la chaîne d’approvisionnement légale, sans moyen de contrôle."
“C’est la confusion totale au sein de la population. Nous ne savons pas depuis combien de temps cette situation prévaut dans nos pharmacies”, reconnaît Ernest Gbaguidi, président de l’association des consommateurs du Bénin, contacté par France 24, qui se dit satisfait de la peine infligée aux acteurs du secteur pharmaceutique.
“Réseau de corruption”
Tout est parti d’une perquisition, en décembre 2017, au domicile du député Atao Hinnouho, un proche de l’opposition soupçonné depuis plusieurs années d’être le baron du trafic de faux médicaments. Près de mille cartons ont été saisis dans les entrepôts appartenant à ce dernier, alors qu'il ne disposait pas des autorisations pour les commercialiser au Bénin. Lors de la perquisition, la police a également saisi des bons de commande de grossistes-répartiteurs au domicile du député, qui héberge également un représentant de l’entreprise New Cesamex. Le procès a ensuite révélé que les produits étaient distribués dans les pharmacies sans l’autorisation du ministère de la Santé, ce qui rend difficilement traçables les médicaments vendus dans les officines.
"L’ordre national n’a rien fait pour dénoncer ses membres qui pour la plupart sont concernés par le fléau", a dénoncé le président Talon. Ce dernier a pris la décision de dissoudre cette instance de représentation des pharmaciens et de retirer l’autorisation de mise en vente au Bénin de l’entreprise New Cesamex. Une décision que certains pharmaciens jugent sévère. "Nous savons qu’il y a des problèmes au sein de la corporation. Les dysfonctionnements liés à l’importation ne peuvent pas donner droit à un mandat de dépôt", affirme Louis Koukpémédji, président du Syndicat des pharmaciens du Bénin.
Une politique de lutte
Le secteur pharmaceutique a longtemps pâti du faible contrôle de l’État et d’une régulation insuffisante. Mais depuis son élection en mars 2016, le président Patrice Talon a fait de la lutte contre le trafic de faux médicaments une priorité, dans la lignée de l’appel lancé depuis la capitale béninoise en 2009 par Jacques Chirac afin "d'œuvrer ensemble en vue d’éradiquer la production, le trafic et le commerce illicites des faux médicaments". Près de dix ans plus tard, la condamnation des grossistes, qualifiée de sévère par les observateurs, en est la manifestation la plus aboutie.
“Nous ne pouvons que nous réjouir de la volonté affichée du Bénin de lutter contre le trafic de faux médicaments. Mais ce que nous craignons, c’est qu’il y ait un effet de frappes assez spectaculaire. Nous ne voudrions pas que les accusations soient faussées” explique le professeur Marc Gentilini, membre du conseil d’administration de la Fondation Chirac. Quatre grossistes ont été condamnés. J’avais visité, il n’y a pas très longtemps, la Came, qui me paraissait fonctionner correctement. Quatre ans de prison ferme, c’est une peine très lourde. Les faits sont graves, s’ils sont confirmés. La question que nous nous posons : ont-ils confirmé ces faits ? Nous avons des réserves.”
En juin 2017, le Bénin a ratifié la convention Médicrime adoptée par le Conseil de l’Europe en septembre 2010, pour criminaliser le trafic. Un peu plus tôt, en février 2017, l’opération Pangea IX, organisée avec Interpol a permis de démanteler un réseau de trafiquants et de détruire une centaine de tonnes de stock de faux médicaments dans le marché Adjégounlè à Cotonou, réputée pour le trafic.