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Cinquante ans après l'assassinat de Martin Luther King, la mémoire sélective de l'Amérique de 2018

à Washington – Les États-Unis commémorent mercredi les cinquante ans de la mort de Martin Luther King, le célèbre leader du mouvement des droits civiques américain. Que reste-t-il de sa mémoire et de ses combats dans l'Amérique d'aujourd'hui ? Entretien.

Le 4 avril 1968, à 18 h 01, Martin Luther King Jr. était assassiné au balcon de sa chambre d’hôtel de Memphis. Cinquante ans plus tard, les États-Unis honorent sa mémoire à travers une succession d’événements. Mais la mémoire collective est parfois sélective, dénonce Wornie Reed, professeur de sociologie et d’études africaines à l’université Virginia Tech, qui dirige un centre de recherche sur les politiques sociales et l’origine raciale.

Wornie Reed a rencontré Martin Luther King Jr. dans les années 1950 et l’a suivi lors de la marche sur Washington en 1963. Il a aussi assisté à une trentaine de ses discours et était présent à son enterrement à Atlanta. Selon lui, les combats que menait le pasteur sont toujours valables aujourd’hui. Entretien.

France 24 : Que représente Martin Luther King Jr. aujourd’hui pour les Américains ?

Wornie Reed : Martin Luther King Jr. est vénéré comme LE leader du mouvement des droits civiques, qui a mené les États-Unis de la ségrégation à l’intégration. Cela revient à oblitérer le travail de plusieurs autres meneurs nationaux, comme Roy Wilkins du NAACP [National Association for the Advancement of Colored People, la principale association de défense des Noirs aux États-Unis, NDLR], James Farmer du Congrès pour l’égalité raciale, Whitney Young de la Ligue urbaine nationale, ainsi que John Lewis du Comité non-violent de coordination étudiante. On les appelait les "Big Five", même si Martin Luther King Jr. était la star parmi eux.

Vous avez dit dans une interview que Martin Luther King Jr. à été "passé à la blanchisseuse" avec le temps. Que vouliez-vous dire ?

Je dis qu’il a été passé à la blanchisseuse car sa personne et son travail étaient très différents de ce dont on se rappelle de lui aujourd'hui. Désormais, Martin Luther King Jr. n'est considéré que comme quelqu'un qui avait un rêve et qui véhiculait un message de paix. Mais Martin Luther King Jr. n’était pas cette figure consensuelle que tant de gens ont en mémoire. C’était un militant, qui a été 30 fois en prison. Au moment de son assassinat, il menait l’un de ses plus importants projets, la campagne pour les pauvres (The Poor People’s Campaign). Il promettait de mener une campagne de désobéissance civile massive et non violente pour perturber la gestion des affaires courantes à Washington jusqu’à ce que le gouvernement fédéral se préoccupe du haut niveau de pauvreté dans le pays.

Quels sont les progrès que Martin Luther King Jr. a aidé à mettre en œuvre dans la société américaine ?

Il a entre autres aidé à abolir la ségrégation aux États-Unis à travers le Civil Rights Act (la loi sur les droits civiques) de 1964. Et il a aidé à créer le Voting Rights Act (la loi garantissant le droit de vote aux Noirs) en 1965. Avant 1964, la ségrégation raciale et ses pratiques discriminatoires étaient légales. Avant 1965, il existait des comtés en Alabama dans lesquels les Noirs n’étaient pas autorisés à voter. Aujourd’hui, il existe de nombreux élus noirs aux États-Unis : c’est le résultat du nombre grandissant d’électeurs noirs depuis la fin de la Guerre civile [en 1865].

Cinquante ans après son assassinat, que reste-t-il de ses combats ?

Les problèmes que Martin Luther King Jr. a soulevés au moment de sa mort sont toujours là. Il luttait contre ce qu’il appelait les trois grands maux : le mal du racisme, le mal de la pauvreté et le mal de la guerre. Le racisme perdure, quasiment sans relâche. Les recherches que je dirige à Virginia Tech montrent que le niveau de discrimination à l’emploi n’a presque pas changé depuis 1967. Le racisme continue de miner le système de justice criminelle, et la situation est probablement pire depuis que Martin Luther King Jr. est mort. Par exemple, les Afro-Américains et les Blancs consomment de la drogue dans les mêmes proportions, mais le taux d’emprisonnement pour usage de drogue des Afro-Américains est presque six fois supérieur à celui des Blancs. Quant au taux de pauvreté aux États-Unis, tous âges confondus, il était le même en 2016 qu’en 1968 ; il est même supérieur aujourd’hui chez les enfants. Enfin, la guerre est continuelle chez nous : dans la liste des plus gros budgets militaires, les États-Unis dépensent davantage que les huit pays suivants réunis.

Qui sont les nouveaux leaders Noirs dans l’Amérique d’aujourd'hui ?

Le leadership est plus diffus aujourd’hui que dans les années 1960. Par exemple, il y a beaucoup d’élus noirs. Concernant les leaders "de rue", à la Martin Luther KingJr., je citerais Al Sharpton [pasteur évangélique, star de la télé et ex-conseiller d’Obama, NDLR], le révérend William Barber [un pasteur protestant membre du NAACP, NDLR] et le mouvement Black Lives Matter.