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Donald Trump vient défier une Californie en rébellion

Donald Trump se rend, mardi, en Californie, notamment pour voir les prototypes du futur mur frontalier avec le Mexique. L'accueil risque d'être froid, l'État s'autoproclame la capitale de la résistance face à l'agenda conservateur du président.

"Ici, en Californie, nous préférons les ponts aux murs." À quelques heures de l'arrivée du président américain Donald Trump en Californie, le gouverneur démocrate de l'État Jerry Brown veut lui faire passer un message : le "Golden State" (surnom de la Californie) s'opposera quoi qu'il arrive à ses politiques conservatrices, notamment en matière d'immigration.

Dear @realDonaldTrump...???????? pic.twitter.com/ZBCXZCEfzP

  Jerry Brown (@JerryBrownGov) 12 mars 2018

Le président républicain doit se rendre, mardi 13 mars, en Californie. Il commencera sa visite par la frontière, à Otay Mesa, juste au sud de San Diego. C'est sur ce site que sont exposés les huit prototypes du mur qu'il veut faire construire sur quelque 3 000 kilomètres de bordures avec le Mexique, l'une de ses principales promesses de campagne.

Après avoir examiné les prototypes de mur, Donald Trump doit faire un discours devant des militaires à la base aérienne de Miramar puis s'envoler pour Los Angeles, où il doit assister à un dîner de levée de fonds au profit du parti républicain.

Capitale de "la résistance"

Cette visite n'occultera pas le fait que, depuis l'investiture de Donald Trump à la Maison Blanche, le conflit couve entre Washington et la Californie. Il faut dire qu'ils sont loin d'avoir une vision commune. Lors de l'élection présidentielle, l'État a majoritairement voté Hillary Clinton, qui y a récolté 4 millions de voix de plus que son adversaire. Donald Trump avait même réussi à perdre dans le comté d'Orange, au sud de Los Angeles, pourtant bastion républicain.

Des premières manifestations ont eu lieu lundi contre la venue du locataire de la Maison Blanche. Près de 200 personnes ont défilé au centre de San Diego pour dénoncer la politique anti-immigration du président américain.

"La Californie est un État particulier", résume Jean-Éric Branaa, maître de conférences à l'Université Panthéon-Assas et spécialiste des États-Unis. "C'est à la fois le plus riche des États-Unis [son PIB en fait la 6e économie au monde, NDLR] mais aussi le plus progressiste." L'État de l'Ouest fait en effet figure de modèle sur plusieurs sujets de société : contrôle des armes, reconnaissance du troisième sexe, écologie, légalisation du cannabis… C'est aussi le premier des grands États où la population blanche a été dépassée en nombre par la population d'origine latino, ceux-là même que Donald Trump a insulté lors de sa campagne.

Pour ces raisons, la Californie a été prompte à s'autoproclamer capitale de la "résistance à Trump". "Les poches de résistances sont nombreuses : la Silicon valley où les magnats de la tech ont massivement financé Hillary Clinton, les universités comme Berkeley où les manifestations anti-Trump sont régulières, Hollywood, déjà traditionnellement affiliée au démocrates… ", énumère Jean-Éric Branaa, auteur de "Trumpland : portrait d'une Amérique divisée".

Les sujets de discorde ne manquent pas

"L'immigration et l'écologie sont les fers de lance du combat de la Californie contre Trump", résume Jean-Eric Branaa. Au moment de la sortie de l'accord de Paris décidé par le président républicain, la Californie s'est rapidement prononcée contre l'avis du président par la voix de Jerry Brown. "Il a réussi à s'imposer comme une voix alternative et a même été invité à la COP 23 pour représenter les régions," rappelle le maître de conférences.

Mais c'est sur l'immigration que les tensions avec le gouvernement Trump sont les plus fortes. En octobre 2017, la Californie s'est proclamée "État sanctuaire" en adoptant trois "lois sur les valeurs californiennes" visant à protéger les quelque 2,3 millions de sans-papiers qui y vivent, en limitant la coopération des services de l'État avec les services fédéraux de l'immigration. "C'est quasiment une sécession de l'État fédéral", estime Jean-Éric Branaa.

Promulgué le 1er janvier 2018, ces lois sont loin d'être du goût de Washington. L'acrimonie a même dépassé un nouveau stade lorsque la maire d'Oakland, Libby Schaaf, a alerté ses administrés de l'imminence d'un raid visant 800 personnes en situation illégale. "Comment osez-vous ? Comment osez-vous mettre en danger sans raison la vie d'agents de police juste pour promouvoir votre programme extrémiste d'ouverture des frontières ?", s'est alors étranglé le ministre de la Justice, Jeff Sessions.

La guerre juridique aura lieu

En représailles, le ministère de la Justice a porté plainte contre l'État de Californie. En visite à Sacramento le 7 mars, Jeff Sessions avait blâmé les "politiques inconstitutionnelles, injustes et irrationnelles". "La Californie utilise tous les pouvoirs qu'elle a – et certains qu'elle n'a pas – pour contrecarrer l'application de la loi fédérale. Donc, vous pouvez être sûrs que je vais tout faire pour la stopper", a promis le ministre.

La réaction ne s'est pas fait attendre. Jerry Brown a qualifié la plainte de l’État fédéral d’"acte de guerre" contre la Californie. Il s'est même laissé aller à singer le style du président Trump sur Twitter : "À une époque d'agitation politique sans précédent, Jeff Sessions est venu en Californie pour diviser et polariser un peu plus l'Amérique. Jeff, ces manœuvres politiques sont peut-être la norme à Washington, mais elles ne marchent pas ici. TRISTE ! ! !"

At a time of unprecedented political turmoil, Jeff Sessions has come to California to further divide and polarize America. Jeff, these political stunts may be the norm in Washington, but they don’t work here. SAD!!!

  Jerry Brown (@JerryBrownGov) 7 mars 2018

Il reviendra très certainement à la Cour suprême de trancher ce différend. "Il y a peu de chance que la Californie l'emporte", estime Jean-Eric Branaa. "La Cour est conservatrice. Elle va probablement estimer que seul l'État fédéral a autorité pour faire une loi sur l'immigration."

Une visite tardive

Aucun président américain depuis Franklin Delano Roosevelt (1933-1945) n'avait mis autant de temps avant de rendre visite au Golden State. Un record qui fait gloser dans la presse américaine mais que Jean-Éric Branaa ne trouve pas si étonnant que ça.

"Donald Trump a commencé par labourer ses terres, à savoir le 'Trumpland'. Il s'est d'abord rendu dans les terres qui lui sont propices pour parler à sa base électorale. Toutes les lois qu'il a faites jusqu'ici étaient pour elle. Que ce soit relancer l'industrie du charbon ou les taxes sur les importations d'acier, tout est fait pour dire aux ouvriers : 'Vous voyez je vous lâche pas'", explique l'universitaire.

13 mars 2018. Le but de la visite de @POTUS en #Californie est surtout une collecte d'argent pour sa prochaine campagne. Il présidera un diner à #BeverlyHills et espère collecter $5 millions ce soir. Il en coûte $250.000 par personne pour diner avec le président. pic.twitter.com/SRmdcTOCe3

  jean-eric branaa (@BranaaJean) 13 mars 2018

Le président américain a déjà les yeux rivés sur les prochaines échéances électorales et notamment sa campagne pour sa réélection en 2020. La visite en Californie est l'occasion de récolter des fonds mais aussi de mettre en scène son nouveau leitmotiv "'Promises kept [promesses tenues, NDLR] comme il le clame et l'affiche dans tous ses derniers meetings", rappelle Jean-Éric Branaa.

Dans cette optique, les photos du milliardaire passant en revue les prototypes de son futur "grand et beau mur" vaudront certainement tous les symboles pour ses électeurs. "Cette visite en Californie, c'est surtout une belle opération de communication', conclut Jean-Éric Branaa.