, envoyée spéciale à Barcelone – Dans les rues de Barcelone, les sécessionnistes ont célébré leur "victoire", eux qui conservent d'une courte tête leur majorité. Mais ils craignent que le bras de fer avec Madrid continue, d'autant que les unionistes ont remporté le vote populaire.
Jeudi 21 décembre, peu avant 23 heures, dans le camp du parti de la gauche sécessionniste (ERC). "Les indépendantistes ont gagné", a solennellement annoncé le vice-président de l’Assemblée nationale catalane Augusti Alcoberro sur l’écran géant qui surplombe le hall de la Estacion Nord de Barcelone transformé pour l’occasion en QG de campagne. "On a gagné !", a réagi Jan, 22 ans en laissant exploser sa joie au milieu de ses amis, dont l’un s'est précipité pour sortir de son sac sa bannière indépendantiste et la déployer fièrement.
"Les indépendantistes ont gagné", se réjouissent Jan, 22 ans, et Esther, 21 ans, qui ont voté pour la gauche independantiste (ERC) @FRANCE24 #21-D pic.twitter.com/q3u6NMXTGg
segolene (@Segolenea) 21 décembre 2017Le bloc sécessionniste, composé de Junts per Catalunya, ERC et des radicaux de la CUP, ont obtenu la majorité au Parlement en décrochant 70 des 135 sièges. Ces résultats n'ont rien de surprenant pour les partisans d’Oriol Junqueras, toujours en détention à Madrid. "Les indépendantistes ont naturellement voté pour le président [Carles Puigdemont] et le vice-président [Junqueras] qui sont pour nous toujours légitimes", explique Esther, 22 ans.
Sauf que l’ERC (Esquerra Republicana de Catalunya- Gauche républicaine de Catalogne), crédité de 21,39 %, n'arrive qu'en troisième position, derrière les unionistes de Ciudadanos (25,37%) et les indépendantistes de Junts per Catalunya (21,65%), alors que certains sondages lui prédisaient une potentielle victoire. Mais les deux électrices ne laissent pas poindre la moindre déception. "L’important, c’est que cette soit-disant majorité silencieuse se soit exprimée et que l’indépendantisme reste majoritaire", se réjouit Esther. Le scrutin a été marqué par une participation record de 81,9 %, contre 42 % lors du référerundum du 1-O.
Vendredi 22 décembre, vers minuit, dans le camp de Junts per Catalunya. "Puigdemont president !", scandent les dizaines militants réunis dans l’hôtel Catalonia du quartier Eixample, avant de communier sur le chant des Faucheurs, l’hymne indépendantiste catalan. Savourant cette victoire au bras de son épouse, Salvador, 64 ans, se dit "très heureux" des résultats. "C’est la preuve que quand un peuple veut quelque chose, on ne peut pas lutter contre", clame le Catalan qui arbore fièrement ses lunettes jaunes, couleur qui symbolise le soutien aux prisonniers politiques détenus à Madrid depuis novembre.
Les partisans de @KRLS célèbrent la victoire sur le champ des faucheurs, hymne des nationalistes catalan #21D @FRANCE24 pic.twitter.com/zgSUcIzZNy
segolene (@Segolenea) 22 décembre 2017Salvador espère que Mariano Rajoy aura, cette fois-ci, "compris le message". Il est maintenant temps, selon lui, "d’écouter, de s’asseoir et de dialoguer pour trouver une solution à la crise". "C’est ainsi que nous agissons ici, en démocratie", tranche-t-il avant d’ajouter : "Nous n’adhérons pas aux manières des corrompus et des héritiers du franquisme qui ont détruit le processus d’indépendance".
"Quand un peuple veut quelque chose, on ne peut pas lutter", affirmé Salvador, 64 ans, qui appelle @marianorajoy à respecter la démocratie @FRANCE24 #21D pic.twitter.com/KBav85aHwt
segolene (@Segolenea) 22 décembre 2017D'un coup, il écourte la conversation pour écouter Carles Puigdemont, le vainqueur surprise de la soirée qui prend la parole depuis Bruxelles. "La république catalane s’est imposée face à l’article 155", a déclaré l’ancien président de la Generalitat, qui dénonce la "déroute de l’État espagnol". Énorme ovation du côté des partisans.
Légèrement en retrait, trois amies restent perplexes. "Madrid a prévenu qu’en cas de victoire des indépendantistes, la mise sous tutelle resterait en place, rapelle Anna, 24 ans. Je ne vois donc pas comment la situation peut revenir à la normale". Pour Claudia, 22 ans, c'est la percée des Ciudadanos qui vient clairement gâcher son plaisir. "Je ne pensais pas qu'ils s'en sortiraient si bien", avoue-t-elle, un peu dépitée.
Vendredi 22 décembre, 1 heure, dans le camp des unionistes de Ciudadanos. Des ballons, des T-shirts oranges, ... l'ambiance se veut bon enfant chez les partisans d’Inés Arrimadas. Malgré la majorité remportée par les indépendantistes, ils ne boudent pas leur plaisir d'avoir remporté "une victoire symbolique". "Ciudadanos est arrivé en tête, argue Gabriel, 25 ans, qui attend que la tête de liste rejoigne son QG. C’est quand la première fois qu’un parti constitutionnaliste s’impose ici en Catalogne".
Les unionistes portes par Ciudadanos revendiquent aussi la victoire. « On a remporté le vote populaire » affirment ils. pic.twitter.com/tHIkKrdGrx
segolene (@Segolenea) 21 décembre 2017C’est aussi, selon lui, l'occasion de montrer à "l’Union européenne que les unionistes ont remporté le vote populaire", souligne-t-il. Cela signifie que nous sommes tout simplement plus nombreux" même si les indépendantistes conservent la majorité de sièges à cause de la représentativité dans le système électoral espagnol. Si le bloc unioniste recueille 51,83 %, contre moins de 48 % pour le bloc sécessionniste, il n'est pas en mesure de former une coalition majoritaire au Parlement
Ces points de vue en disent long sur l’état de la fracture sociale en Catalogne et sur l’incertitude qui règne sur le futur de la région. "Sans surprise, le scrutin n’a pas permis de désamorcer la crise", note Carole Vinales, spécialiste de l’Espagne et chercheuse à l’université Lille III. Des tensions qui ne présagent rien de bon, à deux jours du fameux Classico entre le FC Barcelone et Madrid, samedi 23 décembre, au stade Bernabeu.