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Meurtre de Sarah Halimi : l'irresponsabilité pénale écartée après l'expertise psychiatrique

L'expertise psychiatrique du suspect dans l'affaire du meurtre de Sarah Halimi a conclu mercredi à une "bouffée délirante aiguë" altérant le discernement sans l'abolir, ce qui ouvre la voie à un procès, sans trancher la question du mobile antisémite.

L'expertise psychiatrique du suspect du meurtre de Sarah Halimi, juive défenestrée en avril à Paris, a rendu ses conclusions : Kobili Traoré était atteint de "bouffée délirante aiguë" au moment des faits, altérant le discernement sans l'abolir. L'affaire pourrait donc bien déboucher sur un procès, mais cette considération médicale ne tranche pas la question du mobile antisémite.

La mort de Lucie Attal, aussi appelée Sarah Halimi, du nom de son ancien époux, a suscité une très vive émotion, notamment dans la communauté juive, qui attendait beaucoup de cette expertise dont les conclusions ont été révélées mercredi 13 septembre.

Dans la nuit du 3 au 4 avril, Kobili Traoré, 27 ans, s'était introduit chez sa voisine au troisième étage d'une HLM du quartier populaire de Belleville. Aux cris d'"Allah akbar", entrecoupés d'insultes et de versets du Coran, ce jeune musulman l'avait rouée de coups sur le balcon, avant de la précipiter dans la cour.

"J'ai tué le sheitan"

La victime, une ancienne directrice de crèche confessionnelle âgée de 65 ans, juive orthodoxe connue du voisinage, est morte dans la chute. "J'ai tué le sheitan" (le démon, en arabe), avait hurlé le jeune homme.

Interné dans la foulée du drame, il n'avait pu être entendu par les enquêteurs. Faute d'éléments incontestables, la procédure s'est enclenchée sans retenir la circonstance aggravante de l'antisémitisme, suscitant de vives réactions des parties civiles.

"Tout laisse penser, dans ce crime, que le déni du réel a encore frappé", avaient accusé dans une tribune une quinzaine de personnalités, dont les philosophes Élisabeth Badinter et Alain Finkielkraut, ciblant implicitement la persistance d'un antisémitisme dans les quartiers populaires, sous l'effet d'un islam identitaire.

Le 10 juillet, la juge d'instruction se déplaçait finalement à l'hôpital où était interné Kobili Traoré pour le mettre en examen pour meurtre. Il s'est défendu de toute motivation antisémite.

Le rapport d'expertise psychiatrique du Dr Daniel Zagury, Kobili Traoré a été pris cette nuit-là d'une "bouffée délirante aiguë", "notamment caractérisée par un délire persécutif polymorphe, à thématique mystique et démonopathique" (liée aux démons). En cause : l'effet d'une forte consommation récente de cannabis, chez cet homme fumeur régulier de longue date. De quoi altérer le discernement du jeune drogué, sans pour autant l'abolir. Mais ce trouble psychotique, selon l'expert, n'est "pas incompatible avec une dimension antisémite" du crime, qualification qui n'a pas été retenue à ce jour dans la procédure.

"Vigilance renforcée"

Si l'enquête n'a pas établi l'existence d'une haine antisémite chez le suspect, l'expert émet l'hypothèse que "dans le bouleversement délirant, le simple préjugé ou la représentation banale partagée se sont transformées en conviction absolue".

Tout en se félicitant que la responsabilité pénale du jeune homme ne soit pas écartée, des avocats des proches de la victime envisagent de demander une contre-expertise.

"Je n'exclus toujours pas la thèse de la simulation" de la folie, a déclaré Me Gilles-William Goldnadel, avocat de la belle-sœur de Sarah Halimi. L'expert "tente de minimiser la motivation antisémite pourtant incontestable", a réagi pour sa part Me Jean-Alex Buchinger, avocat d'enfants de la victime, qui entend réclamer une requalification pour assassinat antisémite.

L'avocat de la défense, Me Thomas Bidnic, n'a pas souhaité s'exprimer avant d'avoir pu prendre connaissance de l'intégralité de l'expertise.

L'affaire Sarah Halimi, un nom qui réveille le souvenir de l'assassinat antisémite d'Ilan Halimi par le "gang des barbares" en 2006, a pris une tournure politique mi-juillet, lorsque le président Emmanuel Macron a réclamé à la justice "toute la clarté" sur les faits, "malgré les dénégations du meurtrier" présumé.

Si les actes antisémites ont été pointés en net repli dans le dernier bilan officiel, "les juifs de France sont particulièrement menacés dans la rue, et depuis quelque temps au sein même de leur domicile", selon le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), Francis Kalifat.

Le Crif a d'ailleurs appelé les autorités "à une vigilance renforcée et à des sanctions exemplaires et dissuasives" après qu'une famille juive a été séquestrée, violentée et détroussée la semaine dernière à Livry-Gargan, en Seine-Saint-Denis.

Avec AFP