Avec la chute de Mossoul se pose désormais la question du rapatriement des familles de jihadistes français ayant rejoint l’organisation EI en Irak. Les autorités françaises agissent mais ne manifestent pas d’empressement.
L’affaire pose un sérieux casse-tête diplomatique et juridique à la France. Pour la première fois, une famille française, soupçonnée d’avoir rejoint les rangs de l’organisation de l’État islamique a été arrêtée à Mossoul, en Irak. Une mère et ses quatre enfants dont un nourrisson de cinq mois sont depuis lundi 10 juillet entre les mains des services antiterroriste irakiens à Bagdad. Le mari, lui aussi Français, déjà condamné par la justice française pour des faits de terrorisme, a disparu peu avant leur arrestation par les autorités irakiennes.
Maitre William Bourdon, l’avocat de la famille contacté par France 24, est sans nouvelle "récente et précise de la situation de la famille sur place". Il espère leur transfert vers Paris au plus vite et s’inquiète des conditions de détention de la mère et des enfants en Irak.
"Sur le plan des grands principes, la France a un devoir de protection consulaire sur toute personne privée de liberté à l’étranger, quelqu’elle soit" indique Maitre Martin Pradel, qui défend plusieurs cas de Français soupçonnés d’avoir rejoint l’organisation EI. "Si cette personne a commis des infractions, la France doit se coordonner avec les autorités locales pour s’assurer qu’elle a accès à un interprète, un avocat, à des conditions de détention normales" précise-t-il. À en croire le porte-parole du gouvernement Christophe Castener, la France a assuré qu’elle remplirait cette mission pour la famille française arrêtée à Mossoul, avec "une attention particulière pour les enfants en bas âge". Et de préciser : "cela n'enlève rien au fait que les autorités irakiennes sont fondées à juger les adultes in situ."
Situation urgente pour les enfants
Mais mercredi 19 juillet, les autorités françaises attendaient encore une remontée d’information à partir de Bagdad sur la situation de la famille, indiquait Me Bourdon. Une lenteur qui contraste avec l’urgence de la situation. "Il ne faut plus tarder car il y a quatre enfants mineurs en très bas âge" alerte Me Bourdon. "Des dispositions légales en France imposent à l’administration de prendre toute mesure dès lors qu’il y a la connaissance de risques pour l’intégrité physique ou psychique d’enfants mineurs français", explique-t-il. Les enfants de cette famille, qui ont vécu le siège de Mossoul, ont été retrouvés terrifiés, hagards, les visages "creusés par la faim" comme le décrit la journaliste du Monde, Hélène Sallon, en contact avec la famille depuis plusieurs mois dans le cadre d’une longue enquête publiée par Le Monde.
Aussi Me Bourdon ne compte pas sur la signature de traités bilatéraux entre l’Irak et la France qui prendrait beaucoup trop de temps. "Un accord politique permettrait la remise à la France de cette famille par les autorités irakiennes. La solution dépend uniquement de la rencontre de deux volontés politiques, non pas d’un accord bilatéral", estime l’avocat.
La lenteur de la réponse française
Me Pradel, qui a été confronté à des situations proches de celle de cette famille française de Mossoul, indique qu’il ne détecte "pas particulièrement d’empressement des autorités françaises" de faire revenir les Français retenus à l’étranger dans ce genre d’affaire. Il s’occupe actuellement de la défense d’une famille avec enfants enfermée depuis quatre mois en centre de rétention en Turquie, après avoir été interpellée en Syrie, où elle a déjà passé cinq mois derrière les barreaux. Dans ce cas précis, les autorités turques attendent une confirmation sur l’identité des membres de cette famille avant d’effectuer l’expulsion vers la France. Seul hic, le gouvernement français tarde à fournir la preuve. "Au-delà des prises de positions et des bons sentiments, aucune initiative concrète n’est prise par les autorités française pour faire revenir ces familles", explique l’avocat spécialisé. La Turquie n’a pas non plus d’accord avec la France sur les transferts de prisonnier. "Ca se fait au cas par cas" explique Me Pradel qui juge que c’est "un facteur de souplesse qui permet d’accélérer les procédures".
L’affaire de Mossoul, plus médiatisée est particulièrement scrutée car elle aura valeur de test pour d’autres cas qui risquent de se présenter à l’avenir. "Je n’ai pas connaissance d’autres cas similaires, il s’agira incontestablement d’un précédent dont le traitement sera éclairant pour tous ceux qui se trouvent dans une situation analogue" déclare Me Bourdon. Depuis le début de la bataille de Mossoul en octobre 2016, seuls quelques jihadistes étrangers ont été capturés vivants alors que d'après les autorités françaises, près de 750 ressortissants français étaient encore présents fin mars dernier sur la zone de combat en Syrie et en Irak, dont environ 450 mineurs.
La semaine dernière c’est une jeune Allemande de 16 ans que les forces irakiennes ont arrêté. Elle était cachée dans un tunnel avec d’autres femmes. Sans compter que d’autres grandes batailles contre les combattants de l’organisationEI sont à venir, notamment celle de Tal Afar, une ville située sur la route de la Syrie, où de nombreux jihadistes se sont réfugiés après les combats de Mossoul.