
Emmanuel Macron a rompu avec la diplomatie de François Hollande, en excluant de faire du départ du président syrien sa priorité absolue. Place désormais à la realpolitik destinée à replacer la France à la table des négociations.
Emmanuel Macron a relégué le départ du président syrien Bachar al-Assad au second rang des priorités françaises. "Je n'ai pas énoncé que la destitution de Bachar était un préalable à tout. Car personne ne m'a présenté son successeur légitime !", a-t-il lancé lors d’un entretien accordé à une série de journaux européens, publié jeudi.
Le nouveau président français a officiellement rompu avec la diplomatie de son prédécesseur, François Hollande, qui avait fait de la chute du président syrien sa priorité absolue, avant de s’en détacher timidement.
Exit donc les attaques virulentes contre le président syrien, comme lorsque l’ancien chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, qualifiait Bachar al-Assad de "boucher" et déclarait qu'il "ne mériterait pas d'être sur la Terre".
"Il faut arrêter de parler tout seul dans son coin"
"Le président Macron a lucidement opté pour la realpolitik en ce qui concerne la Syrie, car il a bien compris, et ce, bien avant son élection, qu’il ne sert à rien que la France s’obstine à exiger, seule, la chute du président syrien, alors qu’elle n’a pas le pouvoir d’imposer cette condition à ses protecteurs russes et iraniens, et que même Washington a renoncé à une telle exigence", explique un diplomate français en poste dans la région, contacté par France 24.
Pragmatique, le président veut remettre en selle la diplomatie française, qui s’est retrouvée isolée de part son intransigeance, au moment où la politique étrangère de l’administration Trump semble naviguer à vue. "Si l’on veut être écouté, c'est-à-dire revenir à la table des négociations, il faut arrêter de parler tout seul, ajoute la même source, qui a requis l’anonymat. Pour ce faire, il faut payer un prix, à savoir lâcher du lest sur le sort d’Assad".
Il s’agit clairement d’une main tendue à la Russie, alliée indéfectible du régime syrien, à laquelle Emmanuel Macron a proposé une nouvelle collaboration fondée sur la lutte antiterroriste lors de la visite Vladimir Poutine fin mai à Versailles. "Ce sont eux [les groupes terroristes, NDLR], nos ennemis. Nous avons besoin de la coopération de tous pour les éradiquer, en particulier de la Russie", a affirmé Emmanuel Macron lors de cet entretien. Le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian était d'ailleurs mardi à Moscou pour poser les bases de cette nouvelle relation dans un "esprit de confiance".
"D’aucuns pourraient dire qu’il s’agit d’un cadeau naïvement fait à la Russie, sans être certain en retour d’un geste de gratitude de la part du Kremlin, indique le diplomate. D’autres décriront cela comme une démarche stratégique visant à sortir la France de son isolement sur ce dossier, afin de la replacer sur l’échiquier international au moment où le sort de Daech [l’organisation État islamique, NDLR] est en passe d’être réglé en Syrie et en Irak".
Macron défend son "aggiornamento"
L’opposition syrienne a vivement réagi à l’officialisation de la nouvelle doctrine française, qualifiée "d’aggiornamento" (adaptation au contexte) par le président Macron. "Honte à la France, dont le dirigeant Emmanuel Macron ne considère pas Bachar comme son ennemi ou l'ennemi de l'humanité", a réagi sur Twitter, un membre de l'opposition, Ahmed Ramadan.
Pourtant, le nouveau chef de l’État, qui a réitéré au passage ses "lignes rouges" sur le dossier syrien, à savoir "les armes chimiques et l'accès humanitaire", n’a fait que reprendre quasiment mot à mot une formule qu’il avait déjà utilisé pendant la campagne électorale. À l’époque, il s'était dit opposé à ce que le départ du président syrien soit un "préalable à tout", tout en rejetant l’idée de "pactiser" avec lui.
S’il a évoqué, jeudi, la nécessité d’établir "une feuille de route diplomatique et politique" pour régler le conflit syrien, Emmanuel Macron a fixé les deux priorités de son gouvernement en Syrie : "La lutte absolue contre tous les groupes terroristes" et la nécessaire stabilisation du pays, "car je ne veux pas d'un État failli" a-t-il précisé, en référence à la Libye, qui patauge dans le chaos depuis la chute du colonel Kadhafi en octobre 2011.