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Entre le PDG de Renault et l’État : les bonus de la discorde

Le PDG de Renault, Carlos Ghosn, pourrait empoché des millions d'euros de bonus grâce à un montage financier particulier, selon Reuters. Des révélations qui ne vont pas faciliter les rapports avec l'État actionnaire.

Renault va mieux... ce qui ne devrait pas empêcher son assemblée générale annuelle des actionnaires de tourner à la foire d’empoigne, jeudi 15 juin. Les bénéfices record de plus de trois milliards d’euros en 2016 ne pèseront pas lourd face aux récentes révélations de l’agence Reuters, au sujet d’un possible bonus caché pour Carlos Ghosn. L’inépuisable sujet à polémiques et rebondissements de la rémunération du PDG de Renault-Nissan est, en outre, au cœur de la relation conflictuelle entre le dirigeant franco-brésilien-libanais et le président Emmanuel Macron.

Carlos Ghosn, ainsi que plusieurs autres dirigeants du groupe automobile, pourraient toucher plusieurs millions, voire une dizaine de millions d’euros de bonus, par l’intermédiaire d’une société de services détenue par une fondation néerlandaise, assure Reuters. L’agence de presse a pu consulter une note du cabinet de conseil Ardea Partners qui détaille le montage financier. Ces experts conseillent aux trois sociétés de l’Alliance Partners – Renault, Nissan et Mitsubishi (racheté par Renault-Nissan en octobre 2016) – de verser à la structure néerlandaise 8 % de l'argent dégagé par le rapprochement entre les trois groupes.

Bonus discrets

Ces économies d’échelle représentaient 4,3 milliards d’euros en 2016 et Alliance Partners vise 5,5 milliards d’euros pour 2017. La fraction des sommes allouées à la fondation néerlandaise pourrait ensuite donner lieu au versement de bonus pour “encourager à poursuivre les opportunités de synergies”, détaillent les auteurs du rapport.

Carlos Ghosn a tout à gagner fiscalement à faire transiter l’argent par les Pays-Bas. Le versement de bonus serait exempté du paiement des charges sociales dont il faut s’acquitter en France et, surtout, les dirigeants concernés ne seraient pas obligés de révéler le montant perçu. À l’heure où les rémunérations des patrons en général, et celle du PDG de Renault-Nissan en particulier, sont régulièrement jugées excessives, cette discrétion est bienvenue pour les bénéficiaires.

Ces données ne sont “pas basées sur une information fournie par l'alliance ou les entreprises qui en sont membres, et aucune décision de cette sorte n'a été prise”, a réagi Catherine Loubier, porte-parole d’Alliance Partners. Le rapport d’Ardea Partners ne décrit en effet qu’un scénario possible, mais le fait que le groupe ait mis en place une structure permettant de cacher le montant de bonus versés ne va pas arranger les relations entre Carlos Ghosn et l’État actionnaire à la veille de l’AG annuelle.

Le combat Macron vs Ghosn

Cela fait plusieurs années que les représentants de l’État votent contre la rémunération de Carlos Ghosn. En 2016, le patron de Renault-Nissan était passé outre l’avis négatif de la majorité des actionnaires concernant ses émoluments. Carlos Ghosn avait perçu 7,2 millions d’euros en tant que dirigeant de Renault et plus de huit millions d’euros de la part de Nissan. Un niveau de revenus qui avait paru disproportionné au regard des performances de Renault. L’État avait pris la tête des frondeurs qui demandaient à Carlos Ghosn de se montrer plus raisonnable.

Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, s’était montré particulièrement virulent. Il est même à l’origine d’un changement législatif qui acte qu’à partir de 2018, les recommandations de l’assemblée des actionnaires sur la rémunération des dirigeants soient contraignantes. Cette disposition vise clairement à éviter que Carlos Ghosn puisse ignorer ad vitam aeternam l’avis des actionnaires.

L’ex-ministre de l’Économie avait aussi décidé en 2015 d’augmenter à 20 % la participation de l’État au capital de Renault en avertissant Carlos Ghosn à la dernière minute. Ce dernier avait mal digéré cette décision alors qu’il espérait, au contraire, un retrait de l’État pour envisager une fusion des marques, lui permettant d’accroître les économies et donc, potentiellement, les profits. Bercy, qui craint les conséquences sociales d’une telle opération, n’y est pas favorable.

Carlos Ghosn avait répondu au ministre de l’Économie par l’intermédiaire du rapport de la Cour des comptes sur l’État actionnaire fin 2016. Le patron de Renault y avait soutenu que l’État avait des “conflits d’intérêt” et que ses “actions unilatérales” avaient un impact “profond et durable sur Renault, l’Alliance”. Bercy avait demandé par écrit des excuses pour “ces critiques diffamatoires”.

Si Carlos Ghosn a tenu tête à Emmanuel Macron-ministre, qu’en sera-t-il de ses rapports avec Emmanuel Macron-président ? Les révélations de Reuters le mettent, en tout cas, dans une position de faiblesse.