Le gouvernement d'Emmanuel Macron est entré en fonction mercredi. Il comprend autant de femmes que d’hommes, mais seule Sylvie Goulard a hérité d’un portefeuille régalien, celui des Armées. Une parité numérique mais pas une égalité de pouvoir.
Le secrétaire général de l'Élysée, Alexis Kohler, a annoncé, mercredi 17 mai, la liste des membres du gouvernement d’Édouard Philippe, composé de 22 personnes - 11 hommes et 11 femmes – dont 18 ministres et 4 secrétaires d'État. Un premier gouvernement de la présidence Macron qui se veut fidèle à l'image de la recomposition politique promise par le chef de l'État.
Pourtant, s’il balaye le spectre politique de la gauche à la droite et compte en son sein des personnalités de la société civile, dont l'écologiste Nicolas Hulot, il pèche encore en matière de parité, éstime Réjane Sénac, chercheuse CNRS au Cevipof, présidente de la commission parité du Haut conseil de l’égalité entre les femmes et les hommes et auteure de "Les non-frères au pays de l'égalité" (Presses de Sciences Po, 2017).
France 24 : En apparence, la parité semble bien respectée au sein de ce nouveau gouvernement. Vous faites pourtant une distinction entre parité numérique et parité réelle ?
Réjane Sénac : Dans l’ordre protocolaire, la première femme nommée n’arrive qu’en 4e voire 5e position, si l’on prend en compte le Premier ministre. Les cinq dernières nominations [Enseignement supérieur et recherche, Outre-mer, Sports, Transports, Affaires européennes] sont celles de femmes.
À l'image de la place des femmes et des hommes dans le monde professionnel, la division du travail en fonction du sexe perdure. Les femmes demeurent sous l'autorité des hommes et les missions qui leurs sont confiées sont complémentaires et non égales à celles des hommes. À l’exception de la ministre des Armées, Sylvie Goulard, les portefeuilles attribués aux femmes sont en effet liés au "care" (le soin de l’autre, la solidarité, l’enseignement...), tandis que les ministères régaliens (Intérieur, Économie, Armée, Affaires étrangères, Justice) reviennent tous à des hommes, hormis l’Armée. Ils sont associés aux qualités masculines de décision, de protection, de sang froid...
Ce gouvernement s'inscrit dans le modèle traditionnel de la complémentarité entre les papas et les mamans, où les pères tranchent et protègent, et où les mères demeurent des numéros deux. La composition du gouvernement s'inscrit ainsi en continuité avec un monde politique où les "numéros un" et les postes stratégiques sont en grande majorité occupés par des hommes, et ceci du chef de l'État aux adjoints aux finances dans les mairies (80 % d’entre eux sont des hommes), en passant par le chef du gouvernement.
Vous avez étudié les disparités concernant les profils des ministres en fonction de leur sexe. Que révèlent-elles ?
En dehors du symbole Nicolas Hulot, de manière encore une fois assez classique, l'ouverture à la société dite civile se fait majoritairement par les femmes : Laura Flessel aux Sports, Françoise Nyssen à la Culture, Frédérique Vidal à l’Enseignement supérieur.
Les femmes politiques, au sens "d'ayant eu un parcours politique individuel", sont minoritaires dans ce gouvernement, alors que la légitimité des hommes est encore majoritairement celle de ténors politiques tels que François Bayrou, Jean-Yves Le Drian, Bruno Le Maire. Pourtant, il n'est plus possible de dire qu'il n'y a pas de vivier de femmes politiques, citons par exemple Nathalie Kosciusko-Morizet, Valérie Pécresse ou Ségolène Royal. Le choix des femmes nommées s'est fait prioritairement en fonction du critère de renouvellement.
En d'autres termes, elles incarnent la "politique autrement", alors que les hommes sont encore légitimement des professionnels de la politique. Si cela peut être perçu comme un changement positif, l'asymétrie entre des hommes ministres expérimentés en politique et des femmes plus profanes peut être analysée comme une dépolitisation des femmes.
Le nouveau président Emmanuel Macron n’est donc pas allé assez loin ?
Il ne pouvait pas faire moins pour tenir son engagement de parité quantitative dans le gouvernement. Il respecte la lettre, ou plutôt le nombre, mais pas l’esprit du principe paritaire. Il ne constitue ainsi pas une rupture avec l'héritage politique. Pour mémoire, le premier gouvernement à avoir respecté la parité était celui de Jean-Marc Ayrault en 2012, et la seule fois où une femme a été nommée Première ministre, c’était Édith Cresson en 1991 pour... 10 mois.
Il aurait ainsi été moderne, comme il l'avait laissé espérer, qu'Emmanuel Macron nomme une femme au poste de cheffe du gouvernement. En décalage avec le discours de rupture condamnant les habitudes partisanes, ces nominations gouvernementales font encore et toujours des femmes des secondes.
Dans une vidéo adressée aux femmes pour les candidatures aux législatives, le candidat Macron avait parlé du "beau risque de la parité" en appelant à dépasser leur autocensure. Ces nominations illustrent bien que les inégalités entre les femmes et les hommes sont loin d'être prioritairement la responsabilité des femmes...
*Auteure de "Les non-frères au pays de l'égalité" (Presses de Sciences Po, 2017)