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Égalité homme-femme : les candidats à la présidentielle manquent d'audace

Tous les candidats à l'élection présidentielle française abordent la question de l'égalité homme-femme dans leur programme. Mais selon certaines expertes, les quelques mesures préconisées sont loin d'être ambitieuse.

"Je suis une femme, et comme femme, je ressens les violences extrêmes" insiste Marine Le Pen, l’une des deux seules femmes candidates à la présidentielle du 23 avril et 7 mai, dès les premières secondes de son spot de campagne. Pour autant, elle est celle qui consacre le moins de lignes aux droits des femmes dans son programme.

Si la question de l'égalité homme-femme est désormais posée dans les professions de foi de tous les candidats, l’économiste Rachel Silvera, maîtresse de conférences à l’université Paris-Ouest Nanterre, note une grande différence dans le nombre de mesures préconisées entre les candidats à la présidence. "Quand Marine Le Pen balaie le sujet en trois lignes, Jean-Luc Mélenchon, lui, y consacre un petit livret tout entier" relève-t-elle.

Le féminisme utilisé pour dénoncer l’islamisme radical

Sans compter que ce que les candidats entendent par "égalité des droits de la femme" diverge. Chez Marine Le Pen, la thématique est systématiquement accolée à celle de la lutte contre "l’islamisme", que ce soit dans son clip de campagne ou dans son programme. La candidate du Front national (FN) "instrumentalise le féminisme pour en faire un appât islamophobe. Quand on ouvre son programme, on lit noir sur blanc que l’égalité n’est pas une priorité pour elle, elle ne mentionne l’égalité salariale qu’après la lutte contre l’islamisme radical" constate Rachel Silvera. François Fillon, candidat Les Républicains (LR), mentionne lui aussi la "lutte contre l’islamiste radical" comme un moyen de fournir d’avantage d’égalité aux femmes qui en sont la cible dans des "zones de non-droit" qu’il ne cite pas. Il propose ainsi de supprimer les subventions aux associations qui ne "respectent pas l’égalité homme/femme".

"Il y a un recul du droit des femmes lié au fondamentalisme islamiste", estime @MLP_officiel dans #RTLMatin > https://t.co/r32D2Mz0mj pic.twitter.com/tybnFeutCS

— RTL France (@RTLFrance) 8 mars 2017

À la différence de Marine Le Pen, François Fillon dédie un chapitre entier de son programme aux droits de la femme. En revanche, il y inclut les droits de l’enfant. Benoît Hamon y consacre une entière page, Emmanuel Macron, quant à lui, souhaite en faire une "grande cause nationale" et émaille son programme de plusieurs mesures adressées directement aux femmes.

Parité : des mesures qui ne fonctionnent pas

"Cette rubrique est maintenant acquise, les candidats ont compris qu’il fallait parler des droits des femmes pour convaincre" se réjouit Rachel Silvera. Mais regrette-t-elle, "il n’y a pas d’innovation incroyable et surtout, des propositions qui ne vont pas assez loin". La chercheuse a relevé plusieurs mesures relevant de la "coquille vide", en ce qui concerne la parité notamment.

Sur cette thématique, la plupart des candidats proposent de durcir les amendes ou de diminuer les financements des partis politiques qui ne respecteront pas la législation en la matière, c’est le cas entre autres de Benoît Hamon, Emmanuel Macron et François Fillon. Seule Marine Le Pen reste silencieuse sur ce point, le mot "parité" ne figurant même pas dans son programme.

Seul hic, pour Rachel Silvera les sanctions financières ne sont pas suffisamment dissuasives. "On sait très bien que les partis sont prêts à payer. Pourquoi ne pas considérer une candidature comme non recevable si le parti concerné ne respecte pas la parité ? Il faudrait un changement constitutionnel, là ce serait une véritable avancée", insiste-t-elle. D’autres réserves sont émises par Mariette Sineau, directrice de recherche associée au Cevipof, spécialisée sur la parité en politique. "Il existe une différence entre l’adoption d’une loi et l’égalité réelle sur le terrain. Encore faut-il investir les 50 % de femmes dans des circonscriptions qui ne soient pas perdu d’avance, contrairement à ce que font la majorité des partis", déplore-t-elle

Parce qu'il ne suffit pas d'être pour la #parité, encore faut-il la réaliser https://t.co/LMJ0m3hUBz #égalité2017

— Osez le féminisme (@osezlefeminisme) 3 avril 2017

Égalité salariale : peut mieux faire

En ce qui concerne l’égalité salariale entre hommes et femmes, la majorité des impétrants, à l’exception de François Fillon, proposent de renforcer les sanctions contre les entreprises qui ne la respectent pas. Le candidat LR avait émis pendant la primaire de la droite le souhait d’instaurer de simples "contrôles", mais cette mesure a disparu de son programme. Marine Le Pen, qui parle de "mettre en place un plan national pour l’égalité salariale", n’explique pas comment elle voudrait y parvenir. Or la question des moyens employés est fondamentale.

Sur ce point, le candidat d'En Marche !, Emmanuel Macron, et le socialiste, Benoît Hamon, innovent en proposant la pratique du "name and shame" qui consiste à publier la liste des moins bons élèves pour les persuader d’appliquer l’égalité salariale. Tous deux proposent aussi un renforcement des sanctions. L'ancien ministre de l'économie veut y associer le Défenseur des droits, tandis que le socialiste passerait par l’embauche de davantage d’inspecteurs du travail. Sur la même ligne, Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France) souhaite labelliser les employeurs les plus méritants. Jean-Luc Mélenchon (France Insoumise) va plus loin, en proposant de conditionner l’obtention des marchés publics au respect de la loi sur l’égalité salariale.

"Dans l’ensemble, ces mesures manquent d’ambition" dénonce Rachel Silvera, spécialisée dans les questions d'égalité professionnelle en matière de salaires. "La signature d'accords sur l’égalité salariale en entreprise ont déjà augmenté, mais seul 0,1 % des entreprises ont été sanctionnées car il y a trop peu d’inspecteurs du travail. Qui plus est, ils n’ont pas le temps de se pencher sur les contenus précis de ces accords, or il faut savoir ce qu’ils recouvrent pour juger de leur efficacité".

"Quand les services publics régressent, les droits des femmes reculent"

Sans oublier que l’inégalité salariale résulte de nombreux facteurs, comme la formation scolaire et universitaire, le cloisonnement des métiers. "Ce qui manque dans ces programmes, c’est une vision transversale de l’égalité" soutient Rachel Silvera. "Il ne sert à rien de vouloir mettre en place des mesures pour l’égalité si par ailleurs vous proposez des mesures qui défont les acquis sociaux".

Attentive à la réduction du nombre de fonctionnaires, la chercheuse explique que ce type de mesure peut avoir des "incidences colossales sur l’égalité femmes-hommes", parce que les femmes y sont majoritaires et que "le développement des services publics est une des réponses à l’égalité". "Quand les services publics régressent, les droits des femmes reculent, comme pour l’accès à l’IVG ces dernières années, à la suite de la fermeture de maternités et du manque de moyens d’associations, comme le planning familial, qui proposent des accompagnements pour les femmes" souligne-t-elle.

Un flou entretenu sur l’avortement

Concernant l’IVG justement, plusieurs candidats, qui ont tenu par le passé des positions contre, entretiennent un flou dans leurs programmes. François Fillon avait exprimé à titre personnel ne pas "approuver l’avortement", tout en affirmant que c’était "un droit sur lequel personne ne reviendra". "Il n’en fait pas mention dans son programme, on peut donc espérer qu’il n’y touchera pas, mais on ne sait pas" estime Rachel Silvera, qui souligne la proximité du candidat LR avec Sens commun, une association née de La Manif pour tous.

De même, Marine Le Pen a fait machine arrière, elle n’en parle pas non plus. Emmanuel Macron, qui ne se positionne pas contre l’IVG, ne mentionne pas non plus le droit à l’avortement dans sa profession de foi, juste sur son site. Au contraire, Jean-Luc Mélenchon propose de protéger définitivement le droit à l’avortement en l’inscrivant dans la Constitution française.

Mon intervention à l'Assemblée Nationale pour réclamer la suppression de l'article unique restreignant la liberté à l'information sur l'IVG. pic.twitter.com/huJiGBWpKV

— Marion Le Pen (@Marion_M_Le_Pen) 5 décembre 2016

Augmenter les places en crèche

Enfin, dans cette campagne présidentielle, il y a ceux qui interpellent les femmes en jouant sur la carte de la famille. François Fillon y consacre un chapitre, proposant notamment une réduction des charges pour les gardes d’enfants, un accès prioritaire aux crèches pour les familles monoparentales, davantage de flexibilité sur les horaires, mais aussi une plateforme intergénérationnelle sous la supervision de l’État, grâce à laquelle des séniors garderaient les enfants. Les places en crèche sont un sujet de préoccupation pour la plupart des candidats qui ambitionnent presque tous d’en augmenter les places.

Plusieurs candidats insistent, en outre, sur la révision des congés autorisés par la loi après la naissance d'un enfant. Il faudrait attribuer un congé maternité unique, indépendamment du statut pour Macron, allonger le congé paternité selon Benoît Hamon, répartir librement le congé parental entre père et mère pour Marine Le Pen et François Fillon, sur une durée identique selon Jean-Luc Mélenchon.

"Il s’agit encore une fois d’une bonne idée à condition que le congé parental soit bien conçu", explique Mariette Sineau "mais si la situation économique des femmes ne s’améliore pas, ça ne changera pas, car il est pris dans la majorité des cas par des femmes peu qualifiées. Quand il y a le choix, dans le cas de couples bi-actifs, comme c’est le père dans 90 % des cas qui a un salaire supérieur à la femme, cela incite plutôt à ce que la mère s’arrête". Une chose est sûre, il est difficile d’aboutir à l'égalité homme-femme en ne proposant qu'une seule mesure, il faudrait s’y prendre très en amont, dans l'éducation, dans le choix des métiers, pour résoudre vraiment le problème. Car comme le souligne la politologue, les inégalités se construisent "à l’ombre de la vie privée et commencent surtout quand les jeunes femmes ont des enfants".