Face à la crise du lait, les producteurs français dénoncent le manque d'implication des politiques. "L'Europe ne s’intéresse pas à l'agriculture et les gouvernements n'ont rien fait pour eux”, analyse le spécialiste Bruno Parmentier.
Dans les allées du Salon de l’agriculture, quelque milliers de visiteurs déambulent en ce samedi pour découvrir en nombre vaches, porcs, chèvres et autres bêtes, mais aussi déguster les produits du terroir des producteurs français. Les agriculteurs qui les accueillent peinent cependant à cacher leur désarroi, éprouvés par deux années de crise. "C’est très dur de vivre de mon exploitation", confesse Simon, éleveur de 32 ans, qui s'occupe d'un élevage de 70 vaches dans le Rhône.
Producteur de lait et céréalier depuis 2012, Simon tente de s'en sortir malgé la crise du lait et une récolte de blé exécrable l’an passé. "Je continue car les vaches sont là, poursuit Simon, qui travaille 80 heures par semaine du lundi au dimanche, sans se payer. J’ai des emprunts sur le dos, je ne paie pas tous mes fournisseurs", poursuit l’agriculteur qui vit grâce au salaire d’enseignante de son épouse. "On va voir jusqu’à combien de temps je peux tenir."
"C’est la dernière année que je viens au Salon"
Éleveur en Bretagne, Ludovic n’a, lui, plus d’espoir et craint de devoir mettre la clé sous la porte. Il n’a pas gagné un centime depuis trois ans. "C’est la dernière année que je viens au Salon, avoue-t-il. Entre la PAC [Politique agricole commune, NDLR] et le Ceta [Accord économique commercial global, NDLR] qui vient d’être signé, je pense que je ne vais pas pouvoir tenir."
Si en 2014, moins de 20 % des agriculteurs affichaient des revenus équivalents à 350 euros par mois, ils sont aujourd’hui 50 % à disposer d’un tel salaire, selon la sécurité sociale agricole MSA.
Pour Barbara, âgée de 25 ans, productrice de lait dans le Calvados, la filière paie "les pots cassés des différentes erreurs au niveau de la politique agricole commune". En 2015, l’Union européenne a mis fin au régime des quotas imposés durant 35 années dans un contexte de forte demande mondiale. "La Chine, la Russie, l’Inde et le Brésil étaient des grands importateurs", précise Michel Portier, fondateur et directeur Agritel. "Mais depuis, l’échiquier mondial a changé : ces grosses puissances se sont refermées sur elles-mêmes."
Suite à l’embargo européen contre la Russie suite à la crise ukrainienne, Moscou a réagi en opérant des rétorsions, qui ont coûté à l’agriculture des Vingt-huit près de 200 millions d’euros. De son côté, la Chine, qui a acheté des fermes en Australie, est devenue elle-même productrice. À partir de là, les exportations ont baissé et les agriculteurs n’ont pas réussi à amortir leur coût de production, notamment dans la filière laitière où les producteurs n'ont plus la possibilité de fixer les prix.
Le lait que produit Simon par exemple "sort de [s]on exploitation à 30 centimes d’euro le litre pour que le consommateur l’achète, trois jours plus tard, à 90 centimes d’euros ou un euro", précise le céréalier, qui regrette d’être dans "la seule filière où le producteur n’émet pas sa fiche de paie, qui est faite par l’acheteur, ces grands groupes industriels". Face à ces derniers, il souhaiterait que les producteurs aient plus de poids dans les négociations, comme au Canada, où "il y a un seul syndicat, fort et uni, qui arrive à peser face à tous les industriels".
"Les politiques viennent juste taper le cul des vaches"
Salon de l'agriculture : certains auraient-ils besoin de conseils ?
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Face à un sentiment d’impuissance, les producteurs regrettent que les élus et les politiques n’aient pas bien pris en compte ce bouleversement économique. "Je suis résigné, je ne suis plus en colère comme l’an passé. On a bien vu que manifester l’année dernière n’avait rien apporté. Je n’y crois plus, je ne compte plus sur eux", estime Simon. Barbara, elle, est persuadée que "ça va être le carnaval cette semaine". "Les candidats vont défiler mais ils ne vont rien proposer", déplore-t-elle. De son côté, Bruno Parmentier, spécialiste des questions agricoles et ancien directeur de l’École supérieure d'agriculture d'Angers, est navré de voir le manque d’implication des politiques qui viennent au Salon "juste pour taper le cul des vaches". "Si les agriculteurs sont désespérés, c’est parce que l’Europe ne s’intéresse pas à l'agriculture et que les gouvernements successifs n’ont rien fait pour eux."
Dans une vidéo publiée sur son compte Facebook ce week-end, François Fillon s’est engagé à mettre en place des mesures immédiates pour que les agriculteurs puissent enfin vivre décemment de leur travail, à commencer par une baisse généralisée des charges ou l'inscription sur les étiquettes des produits frais du prix d'achat au producteur agricole.
De son côté, Marine Le Pen propose de privilégier uniquement les circuits courts et acheter seulement du made in France. Une proposition jugée irréalisable par Michel Portier. "La PAC, c’est le premier pilier de l’Europe".

Le prochain gouvernement devra négocier l'orientation de la PAC 2020-25, avec des partenaires européens qui sont aujourd'hui des concurrents sur les marchés agricoles. La France a du mal à peser dans les négociations européennes face aux pays anglo-saxons, qui privilégient l’industrialisation à outrance de l’agriculture. Pour cause, le rapport à la nourriture n’est pas le même : selon l’étude du département américain d’économie agricole (USDA), réalisée dans le monde, en 2012, les Français consacraient 14 % de leurs revenus à l'alimentation contre 11 % pour les Allemands et 9 % pour les Britanniques.
"Nos bons produits ne font pas le poids face aux sandwichs pas chers avec leurs tranches de jambon carrés", commente Bruno Parmentier.