
Dans l’exposition "Itinéraires intérieurs", le photographe Bruno Fert montre l’intérieur d'habitations de migrants retenus dans des camps en France et en Grèce. Loin des clichés misérabilistes sur la vie dans les "jungles".
Avec ses murs à l’effigie du club de foot de Bradford et son Union Jack épinglé au-dessus du lit, l’intérieur ressemble à la chambre d’un adolescent britannique. L’occupant des lieux n’est pas anglais, il rêve d’Angleterre. En 2015, Fouad a quitté Deraa, en Syrie, pour tenter de rejoindre la Grande-Bretagne. Comme des milliers d’exilés nourrissant la même ambition, son parcours s’est arrêté au bord de la Manche, à Calais.
Il y restera un peu plus d’un an. Avant qu’elle ne soit démantelée en octobre dernier, la "jungle" fut donc sa "ville". Le jeune homme de 26 ans y habitait l’un des abris en bois construits sur le site par Médecins sans frontières (MSF). Durant cette période, Fouad essaya plusieurs fois de traverser la Manche. Une fois, il crut atteindre son but. Embarqué clandestinement dans un camion, il fit une centaine d’heures de route avant de découvrir que c’est en Espagne que le véhicule l’emmenait.
L’histoire de Fouad, c’est le photographe Bruno Fert qui la raconte. En quelques lignes seulement. Car le plus parlant n’est pas tant le texte que l’image. Cette image d’un intérieur ordonné où le Syrien a entretenu des mois durant son désir d’Angleterre. La tranquillité qui se dégage de la photo tranche avec les clichés misérabilistes qui collent à la "jungle". "On associe la situation des migrants à la misère mais, finalement, la misère, ce sont les politiques européennes qui la créent en bloquant des personnes dans des endroits, explique Bruno Fert. En découvrant les habitations des migrants et le soin qu’ils y apportent, on découvre autre chose de leur univers. On voit surtout que ce sont des personnes organisées, ce ne sont pas des gens qui se laissent aller."
Intimité, douceur et vie passée
Raconter les migrants plutôt que les montrer, telle est l’ambition de l’exposition "Itinéraires intérieurs" que MSF organise jusqu’au 15 janvier au Point Éphémère, à Paris. Bruno Fert y présente une quinzaine de clichés montrant uniquement les lieux qui ont servi de foyers aux migrants syriens, kurdes, soudanais, pakistanais ou encore érythréens retenus dans les camps français de Calais et Grande-Synthe, et de Katsikas, en Grèce.
Les photos sont simples a priori mais regorgent de détails qui apparaissent comme autant d’indicateurs sur les occupants. Ici, un jeu de cartes abandonné en pleine partie, là, des peluches soigneusement disposées sur un lit bien fait. "L’intérieur de quelqu’un donne des indications sur son niveau de vie, ses moyens financiers, son niveau d’éducation, ses centres d’intérêts, commente Bruno Fert. Dans des camps comme Calais, où règne l’adversité, la petite cabane dans laquelle vivent les migrants est le dernier espace où ils disposent encore un peu d’intimité, de douceur et de leur vie passée."
Épicier chez lui en Afghanistan, Abdallah a tout naturellement établi une petite échoppe dans son abri de Calais. D’autres y ont créé leur salon de coiffure ou dressé un restaurant, tel le Pakistanais Awesome dont l’établissement, appelé "Les Trois Idiots", était devenu un lieu de rendez-vous pour migrants, humanitaires et journalistes.
Bédouin du Koweït arrivé en France à l’âge de 18 ans, Ali s’est constitué quant à lui un véritable cocon coloré où des figurines de Spider-Man côtoient des posters des Power Rangers. "Il était fier de montrer son abri car pour lui c’était sa première maison en dur, raconte le photographe. En tant que bédouin, il avait toujours vécu sous une tente. Là, c’est comme s’il avait reconstitué cette chambre d’enfant qu’il n’avait jamais eue."
Téléphones portables et fours en roues de voitures
Bien que chaque intérieur reste unique, certains accessoires reviennent dans tous les décors. Au même titre que le lit ou les ustensiles de cuisine, téléphones portables, chargeurs et batteries additionnelles se sont rendus indispensables au quotidien. Pas seulement pour appeler ses proches. "Lorsque je leur demandais des photos de famille, ils n’en avaient pas sur eux, mais ils me les montraient sur Instagram, s’amuse Bruno Fert. En réalité, les migrants n’ont plus beaucoup d’objets de leur vie passée. Pour traverser la Méditerranée, il faut être léger. C’est un périple durant lequel on se dépouille de ce qu’on a. Dans les habitations, on retrouve surtout les objets distribués dans les camps. À Katsikas, par exemple, on m’accueillait en servant les cafés sur ce même plateau orange qui était, en fait, le couvercle d’un kit fourni par le HCR [Haut commissariat aux réfugiés]. À Calais, on retrouve souvent ces fours et ces poêles de chauffage que certains fabriquaient avec des roues de voitures ou des barils."
La valeur n’atteint pas le nombre des années. Surtout pas celle d’un foyer. Au moment du démantèlement de la "jungle", les migrants ont dû, pour la seconde fois, s’arracher à leur lieu de vie. "On m’a rapporté que certains avaient brûlé leur maison avant de partir, comme un cérémonial d’adieu. Je suis encore en contact avec quelques-uns de ceux que j’ai photographiés et lorsqu’ils parlent de Calais, c’est avec beaucoup de nostalgie. C’était un peu leur capitale."
-"Itinéraires intérieurs", jusqu’au 15 janvier au Point Ephémère, 200 quai de Valmy, 75010 Paris. Gratuit.