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L'ex-général Michel Aoun, 81 ans, a été élu, lundi, président du Liban par le Parlement. L’ancien militaire était assuré d’être élu à ce poste, réservé aux maronites, communauté à laquelle il appartient, et vacant depuis mai 2014. Portrait.

C’était l’ambition, voire l’obsession, de toute une vie. L’ancien général et figure politique chrétienne Michel Aoun est devenu à l’âge de 81 ans, le treizième président de la République libanaise, après son élection pour un mandat de six ans, lundi 31 octobre.

Admiré par ses partisans, pour lesquels il incarne le héraut de la souveraineté du Liban, autant qu’il est méprisé par ses nombreux détracteurs qui le taxent de chefaillon populiste, l’ancien militaire était assuré d’être élu par le Parlement à ce poste, réservé traditionnellement aux maronites, communauté à laquelle il appartient, et vacant depuis mai 2014.

Acteur majeur de la guerre du Liban (1975-1990), chantre de la lutte contre l’occupation syrienne jusqu’à son retour d’exil en 2005, allié du Hezbollah, Michel Aoun est depuis plusieurs décennies un personnage incontournable de la scène politique libanaise.

Refusant résolument de laisser passer sa chance, comme en 2008, lorsqu’il fut contraint de renoncer à son rêve à cause de dissensions politiques, il doit son élection à la volte-face de plusieurs de ses rivaux, qui ont décidé cette fois de voter en sa faveur.

Une carrière militaire exemplaire

Le doyen de la scène politique libanaise, marié et père de trois filles, aura beau assurer le contraire, son élection est une revanche sur l’Histoire, puisqu’elle va lui permettre de retourner triomphalement au Palais présidentiel de Baabda. Un édifice dont il fut chassé par l’armée syrienne en octobre 1990, alors qu’il était à la tête d’un gouvernement militaire. Un épisode qui le forcera à vivre 15 ans en exil en France, avant de retourner au Liban en 2005, pour s’imposer dans les urnes comme le principal leader chrétien du pays.

Né en 1935, bien avant l’indépendance du pays du Cèdre acquise en 1943, au sein d’une famille très modeste et élevé à Haret-Hreik, une banlieue populaire de Beyrouth, Michel Aoun se distingue dès son plus jeune âge sur les bancs de l’école des Frères des écoles chrétiennes, fréquentée par la bourgeoisie de la capitale, notamment par son niveau en langue arabe.

Le "Général", comme l’appellent affectueusement ses fidèles, entame son ascension sociale lorsqu’il décide d’épouser une carrière militaire, sachant que la politique est traditionnellement réservée aux fils des vieilles familles féodales. Là encore, ses capacités impressionnent ses instructeurs de l’École de guerre. Spécialisé dans l'artillerie, il est envoyé à l'étranger, notamment en France et aux États-Unis, afin de compléter sa formation.

Après avoir gravi les échelons un à un et servi dans plusieurs régions libanaises, c’est en pleine guerre du Liban, en 1983, que son nom frappe les esprits pour la première fois. Alors qu’il est aux commandes de la 8e brigade de l’armée libanaise, il repousse un assaut mené par le chef druze Walid Joumblatt et des miliciens aux ordres de la Syrie, contre Souk al-Gharb, un verrou stratégique au sud de Beyrouth, vital pour la survie de l’État libanais.

Un fait d’armes retentissant qui lui vaut d’être nommé l’année suivante, à 49 ans, général puis commandant en chef de l'armée, devenant le plus jeune officier à jamais accéder à ce poste. Dans un contexte difficile, il s’attache à consolider les positions de l’armée dans les zones encore libres d’un pays livré aux milices et occupé aux plus des deux tiers par deux armées étrangères (Syrie et Israël).

Le tournant de 1988

En 1988, sa vie prend une nouvelle tournure, éminemment politique, lorsqu’il est nommé à la tête d’un gouvernement militaire par le président Amine Gemayel, arrivé au terme de son mandat et privé de successeur.

Alors que la situation chaotique empêche en effet l’élection d’un nouveau chef de l’État, Michel Aoun se considère comme le dernier symbole de la légalité dans le pays et se sent investi d’une mission personnelle de sauver le Liban. Contesté par la classe politique musulmane libanaise, il s’accroche au pouvoir dans le réduit chrétien de 800 km2, qui échappe alors aux soldats syriens, et refuse l’élection d’un président tant que le pays est occupé par des troupes étrangères.

Le général Michel Aoun est nommé Premier ministre en 1988 (archives)

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Mais en l’espace de deux ans, il décide de passer d’une posture défensive à une posture offensive pour sortir du statu quo. Il lance depuis le palais de Baabda deux guerres perdues d’avance, voire suicidaires d’un point de vue militaire, selon ses détracteurs. La première en 1989, intitulée "Guerre de libération contre l’occupation syrienne", durera six mois.

Ses prises de positions nationalistes galvanisent la jeunesse et valent à ce général en treillis camouflé et au béret vissé sur la tête une très grande popularité au sein de la communauté chrétienne. Plusieurs milliers de sympathisants se rendent fréquemment au palais présidentiel pour acclamer celui qui incarne à leurs yeux la résistance contre l’occupant syrien.

Si au départ cette cause était soutenue par les chrétiens, ce conflit meurtrier qui a provoqué des milliers de morts débouchera au contraire, faute de moyens et surtout d’appui international, sur une mainmise totale du régime de Hafez al-Assad sur le Liban, via un pouvoir libanais aux ordres de Damas.

Du bunker du palais de Baabda à l’exil en France

La deuxième guerre de Michel Aoun, déclenchée en 1990, est une guerre fratricide interchrétienne entre l’armée libanaise et la puissante milice chrétienne des Forces libanaises (FL) dirigée par son rival et seigneur de guerre Samir Geagea. Le général entend désarmer le chef de la milice pour asseoir son autorité dans la zone non occupée par la Syrie. Particulièrement sanglante, elle provoquera un exode massif des chrétiens du Liban, le plus important depuis le début de la guerre en 1975.

Aoun contre Geagea, une guerre fratricide (archives)

Retranché dans son bunker du palais de Baabda, seul contre tous et accusant tous ceux qui ne partagent pas son avis de trahison, il qualifie de "diktat syrien" l’accord de Taëf – conclu en Arabie saoudite en 1989 – qui vise à mettre fin à la guerre du Liban. Un accord qui a dépossédé le poste de président de la République de la majorité de ses prérogatives, et qui est toujours en vigueur aujourd’hui.

Affaibli militairement par ces deux conflits, isolé sur le plan international, le "général rebelle" fera en plus les frais de la realpolitik américaine. Pour récompenser la Syrie d’avoir rejoint la coalition anti-Saddam Hussein – le dictateur irakien, rival régional de Hafez al-Assad, était le principal bailleur de fonds et fournisseur d’armes et de munitions du général libanais–, lors de la première guerre du Golfe, Washington donne son vert à l’invasion du réduit chrétien, qui scelle le sort de Michel Aoun.

Le 13 octobre 1990, l’armée syrienne, appuyée par ses alliés libanais, lance son offensive terrestre et aérienne sur le palais de Baabda, réduit à l’état de ruines après des mois de bombardements intensifs.

La chute du palais de Baabda (archives)

Le général est contraint de négocier sa reddition et celles de ses troupes, et trouve refuge dans les locaux de l’ambassade de France au Liban. Il y restera pendant 11 mois, avant d’être exfiltré par la France, où il vivra pendant 15 ans en exil.

Un retour triomphal en 2005

Malgré l’éloignement, la popularité du général, pourtant soumis à une obligation de réserve, ne faiblit pas au Liban où la tutelle syrienne marginalise la communauté chrétienne et la prive de leader représentatif. Il entretient le lien avec ses partisans en fondant le "Courant patriotique libre", un parti souverainiste, qui milite pour le départ des 35 000 soldats syriens.

Au début des années 2000, la donne régionale change alors que les États-Unis de Georges W Bush, en pleine guerre contre le terrorisme après le 11-Septembre, désigne la Syrie des Assad, comme un maillon de l’axe du mal. Michel Aoun voit le vent tourner et sort de sa réserve en témoignant contre le régime syrien en 2003 devant le Congrès américain. Les Américains sont désormais enclin à l’écouter et inflige des sanctions à la Syrie via le Syria Accountability Act.

Michel Aoun s’attribue également un rôle prépondérant dans l’adoption, en 2004, de la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui ordonne le retrait des troupes syriennes du pays du Cèdre. Un départ qui se matérialise en avril 2005, à la suite des manifestations monstres organisées dans la capitale libanaise après l’assassinat du Premier ministre sunnite Rafic Hariri, et qui ouvre la voie à un retour de Michel Aoun. Cette fois en en habit civil.

Amnistié par la justice libanaise, il rentre à temps, en mai 2005, pour participer aux législatives, mais il ne parvient pas à s’entendre avec la nouvelle coalition hétéroclite anti-syrienne, qui se méfie de sa popularité avant les élections. Pragmatique, arguant que la page de l’occupation est tournée, il noue des alliances déroutantes avec ses ennemis pro-syriens d’hier, au point de déconcerter certains de ses partisans de la première heure.

Ce calcul s’avère payant, puisqu’il l’emporte dans les urnes et s’impose comme une force politique majeure, la principale sur l’échiquier politique chrétien.

En février 2006, il signe un nouveau coup de Trafalgar, en paraphant un "document d'entente" avec le Hezbollah chiite, l’indéfectible allié de Damas. Une alliance implicite entre les deux poids lourds de leur communauté respective, qui lui permet de bouleverser la donne, et de contrecarrer les plans de la majorité anti-syrienne au pouvoir, dirigée par le sunnite Saad Hariri, qu’il juge corrompue.

Ses détracteurs l’accusent de fournir une couverture chrétienne au mouvement politico-militaire pro-iranien, dont plusieurs membres sont pourtant accusés par la justice internationale d’être impliqués dans l’assassinat de Rafic Hariri.

Le blocage paie, ses rivaux l'adoubent

Faisant fi des critiques qui le visent, le général Aoun, qui se rend en 2008 à Téhéran, où il rencontre le président Mahmoud Ahmadinejad, et surtout à Damas, où il s’affiche aux côtés du président Bachar al-Assad, pense surtout à la présidentielle de la même année. Il espère l’emporter grâce à son alliance avec le parti de Dieu. Mais faute d’un accord politique sur son nom, trop clivant, il voit Michel Sleimane remporter l’élection à la suite de l’accord de Doha.

Lors des législatives de 2009, malgré quelques revers, il parvient à maintenir son poids au Parlement. En parallèle, préparant sa succession, lui qui a si souvent pourfendu le népotisme politique au Liban, il commence à pousser sur le devant de la scène son gendre Gébrane Basil, l’actuel ministre des Affaires étrangères.

En mai 2014, alors que la guerre en Syrie fait rage depuis 3 ans et qu’elle divise plus que jamais l’échiquier politique libanais, le mandat de Michel Sleimane arrive à son terme. Candidat naturel au poste, Michel Aoun, sait que son nom, malgré son importante base populaire "aouniste", polarise le rejet de ses adversaires.

Qu’importe, il considère que son poids politique fait de lui le candidat légitime pour Baabda, et il parvient avec ses alliés chiites à bloquer le scrutin présidentiel. Séance après séance, le quorum nécessaire n’étant pas atteint au Parlement, l’impasse persiste.

Le blocage paraît total jusqu’en janvier 2016, lorsque, ironie de l’histoire, Samir Geagea, qui était lui aussi candidat, se désiste et apporte, 26 ans après leur lutte à mort, un soutien capital à son vieil ennemi.

Il ne restait plus qu’un dernier obstacle, sunnite cette fois, à gravir pour l’ancien chef d’État-major. Et il a été levé le 20 octobre, lorsque Saad Hariri, affaibli politiquement en raison de litiges avec l’Arabie saoudite, son parrain politique, a apporté son soutien à la candidature Michel Aoun, pourtant allié au Hezbollah, aussi craint que honni par la communauté sunnite. Peut-être en échange d’une promesse de redevenir Premier ministre, selon les médias libanais.

À 81 ans, le général, aussi populaire que controversé, s’apprête à écrire une nouvelle page du roman d'une vie riche en rebondissements.

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