Annoncée comme imminente, la bataille pour libérer de l’EI la ville de Mossoul s’annonce épique. Pourtant, certains font état de dissensions, sur fond de rivalités régionales et confessionnelles, entre les factions qui sont censés la mener.
La bataille décisive pour la libération de Mossoul, la grande ville du nord irakien tombée aux mains de l’organisation État islamique (EI) en juin 2014, peut commencer d’un instant à l’autre. Pour déloger les jihadistes d'Abou Bakr al-Baghdadi de leur principal bastion en Irak, plusieurs milices et groupes armés locaux sont en première ligne, en plus des forces gouvernementales irakiennes, appuyées par la coalition internationale dirigée par les États-Unis.
Des intérêts et des objectifs asymétriques
Selon des sources sécuritaires et des médias irakiens, les formations armées irrégulières, qui s’apprêtent à engager le combat seraient les suivantes : les peshmergas kurdes, des éléments du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), les "Forces de mobilisation populaire", qui est une armée parallèle organisée autour de milices irakiennes pro-iraniennes essentiellement chiites, et le groupe de milices irakiennes sunnites baptisé "al-Hachd al-Watani", soutenu principalement par la Turquie, qui a elle-même laissé entendre qu’elle participerait à la bataille.
Mais en plein préparatifs, des tensions sur fond de rivalités régionales et religieuses sont apparues au sein de cette alliance de circonstance pour le moins hétéroclite, au point de faire craindre son éclatement après la prise éventuelle de la métropole, chef-lieu de la province de Ninive, à majorité sunnite et riche en pétrole.
"Ces tensions sont inévitables et s’expliquent par le fait que chacune des parties impliquées dans la bataille a des intérêts et des objectifs différents à moyen et à long terme, en particulier les milices chiites, les groupes sunnites et les peshmergas kurdes", indique Mohammed Mohsen Abou Nour, chercheur et analyste politique spécialiste des questions internationales, basé au Caire, contacté par France 24.
Comme pour illustrer ces dissensions, Bahram Yasin, général au sein des Forces armées du Kurdistan irakien (peshmergas), expliquait à France 24 que son camp entendait poser quelques conditions avant de s’engager dans la bataille. "Il faut que l’on sache comment sera gérée Mossoul, car il y a beaucoup de minorités qui vivent dans la ville, qu’elles soient arabes, kurdes, sunnites, chiites, chrétiennes, yézidis, turkmènes, shabak et kakaï. Il faut tenir compte de chacune d'entre elles pour gérer la ville après sa reconquête". Il prévient par ailleurs : "si l’on marginalise certaines d’entre elles, un nouveau Daech apparaîtra d’une façon ou d’une autre".
Des tenions entre sunnites et chiites
Pour l'analyste Mohammed Mohsen Abou Nour, s'il est évident que chaque partie tentera de tirer profit d’une éventuelle victoire, il faut noter que l’enjeu est surtout de taille pour "al-Hachd al-Watani", la milice sunnite. Composé de 2 500 combattants issus principalement de la région de Mossoul, ce groupe "compte se venger de l’EI qui l’a chassé de son territoire et réduit son influence", explique le chercheur. Mais cette milice va surtout chercher "à contrer l’influence chiite dans la province majoritairement sunnite de Ninive, et dont l’expansion est encouragée, sur fond de tensions confessionnelles, par le gouvernement irakien dominé par les chiites", développe-t-il.
La milice sunnite Al-Hachd al-Watani veut surtout empêcher les milices chiites de s’approprier toute victoire éventuelle contre l’EI, pour en tirer profit dans la région. D’autant plus que la population sunnite de la province redoute la répétition d’exactions semblables à celles qui ont été attribuées à des milices chiites lors de la libération de bastions sunnites contrôlés par l’EI, comme à Tikrit, Ramadi et Falloujah.
Comme s’il redoutait d’être relégué au second plan par les milices chiites, un haut responsable d’Al-Hachd al-Watani, récemment interrogé par France 24, avait insisté sur la légitimité de ses hommes à mener la bataille. "Notre force est la plus importante, car nous sommes des habitants de Mossoul et de la plaine de Ninive, arguait le général Mohamed Yahya. Nous sommes en contact avec des habitants de la ville qui sont prêts à nous aider depuis l’intérieur pour la reprendre".
Au-delà des calculs de gains immédiats, les sunnites espèrent à terme, qu’en jouant un rôle actif dans la bataille de Mossoul, provoquer des bouleversements politiques auront lieu en leur faveur sur le plan national, affirme le chercheur Mohammed Mohsen Abou Nour. Même s’il reste prudent tant le contexte politique et militaire actuel est favorable à la communauté chiite.
En garantissant par exemple à la communauté sunnite une participation effective aux affaires du pays et aux grandes décisions politiques, dont les avaient exclus l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki, une politique, qui, au fil du temps, avait fini par frustrer et marginaliser les régions sunnites et conduit à l’essor de l’EI dans l’est du pays.