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Législatives au Maroc : pourquoi les salafistes débarquent sur la scène politique

Envoyée spéciale à Rabat – Des salafistes se présentent aux élections législatives au Maroc, signant leur intégration dans la vie politique. Quelle est leur stratégie et celle des partis qui les accueillent sur leurs listes ?

Ils sont une poignée, une dizaine, parmi les quelque 7 000 candidats aux élections législatives marocaines du 7 octobre, mais leur présence ne passe pas inaperçue. Des salafistes se présentent sous plusieurs étiquettes à l'occasion de ce scrutin. Pour Driss El Ganbouri, chercheur spécialisé dans les mouvements islamistes, l'intégration dans la vie politique marocaine de ce courant fondamentaliste – qui prône un retour aux bases de l'islam – s'explique avant tout par une crise vécue par la plupart des partis traditionnels : "Ils connaissent un déficit de légitimité. Ils n'ont pas une image claire face aux électeurs. Les salafistes, qui ont du charisme et de l'audience, peuvent les aider à regagner de la légitimité".

"Nous n'essayons pas de changer le régime"

Pour preuve, l'Istiqlal, l'un des partis historiques marocains fondé en 1943 au moment de la lutte pour l'indépendance, a décidé de placer Abdelwahab Rafiqi alias Abou Hafs, un salafiste notoire, en deuxième position sur sa liste pour les législatives à Fès. "En tant que citoyen, j'ai décidé d'exercer mon droit [de me présenter aux législatives]", explique à France 24 ce nouvel entrant en politique. Abou Hafs a pourtant un passé pour le moins chargé. Cet ancien prêcheur, qui avait béni les attentats du 11 septembre, a été condamné à 30 ans de prison après les attentats islamistes de Casablanca en 2003, au cours desquels 45 personnes avaient été tuées.

Grâcié par le roi Mohammed VI en 2012, il assure désormais s'être repenti, rejeter toute forme de violence et lutter contre l'intégrisme et le terrorisme. Il entend aujourd'hui défendre les droits de l'Homme, notamment ceux des salafistes encore détenus, et les libertés individuelles : "Les années que j'ai passées en prison m'ont permis de réfléchir et de me forger une nouvelle vision de la vie politique. Le projet que j'ai m'incite à me comporter avec tolérance et sans confrontation. Je prône le respect des valeurs universelles". En plus de ce discours lissé, bien loin de ses anciennes idées, Abou Hafs va jusqu'à prêter allégeance au "commandeur des croyants", le roi Mohammed VI. "Je n'essaie pas de changer le régime. Je suis attaché aux institutions. Je ne demande pas une monarchie parlementaire. Je suis pour que le roi reste à la tête de l'exécutif tout en donnant bien sûr une marge de manœuvre plus large au gouvernement ", précise-t-il.

La vidéo de campagne de Abdelwahab Rafiqi alias Abou Hafs

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"Un salafiste reste toujours un salafiste"

Mais nombre de salafistes ne partagent pas son "projet de tolérance". Certains l'accusent de jouer le jeu du pouvoir. "C'est quelqu'un de pragmatique. Il change de camp pour des raisons matérielles, mais pas par principe", critique le cheikh Abdelkrim Chadli. Ce salafiste lui aussi condamné pour son implication dans les attentats du 16 mai 2003 ne se présente pas aux élections législatives mais a choisi de soutenir le Mouvement démocratique et social, un parti de droite libérale. Lui aussi assure vouloir avant tout faire avancer le dossier des détenus salafistes et affirme également ne plus faire appel à la violence : "Aujourd'hui, on ne parle plus de salafisme jihadiste, c'est un salafisme national, qui participe à la vie politique". Mais à la différence d'Abou Hafs, son discours est moins policé. Les revendications fondamentales du salafisme sont toujours bien présentes : "Nous n'avons pas renoncé à la choura [un système consultatif religieux qui s'oppose à la démocratie, NDLR]. Si la démocratie est un moyen d'y accéder, cela ne nous pose pas de problème, mais le projet initial reste le même”.

Selon Driss El Ganbouri, "un salafiste reste toujours un salafiste", sans demi-mesure possible. Pour ce chercheur, c'est bien là que réside tout le problème : "Que va-t-il se passer après les élections ? Si un salafiste se présente sous l'étiquette d'un parti qui prône la liberté de la femme ou des homosexuels, il ne manquera pas de se quereller au Parlement avec ce même parti que ces questions. Demain, quand il y aura des sujets sensibles sur la table, le salafisme va se réveiller".

Mais alors pourquoi les partis traditionnels ont-ils choisi de courir ce risque ? Tout est question de calculs à la petite semaine, estime Driss el-Ganbouri. "Ce ne sont des partis 'électionnistes' qui ne programment rien", regrette-t-il. "Ils y ont vu aussi l'opportunité de combattre le parti islamiste [Parti de la justice et du développement, PJD, à la tête du gouvernement de coalition depuis cinq ans, NDLR]". Le Makhzen, le palais, selon le spécialiste des mouvements islamistes, y trouve aussi son compte : "Le roi doit être la seule légitimité qui réunit religion et politique. Grâce au retour des salafistes, le discours religieux se disperse et il n'y a pas qu'un seul pôle qui domine la politique. Mohammed VI y gagne une certaine paix".