
Envoyée spéciale à Ypres – Chaque soir depuis 1928 à Ypres, en Flandre belge, se déroule une cérémonie à la porte de Menin. Des centaines de personnes se réunissent pour exprimer leur gratitude envers les soldats britanniques tombés durant la Grande Guerre.
Le 1er juillet 2016, ils étaient 10 000 à s'être rassemblés au mémorial franco-britannique de Thiepval pour commémorer les cent ans de la bataille de la Somme. Lors de cette journée marquant le début de ces combats particulièrement sanglants de 1916, des milliers de descendants de soldats sont venus rendre hommage à leurs ancêtres qui ont participé à la Première Guerre mondiale.
Mais, chaque jour, à une centaine de kilomètres de là, de l’autre côté de la frontière franco-belge, à Ypres, les habitants n’attendent pas spécialement de date anniversaire pour honorer leur devoir de mémoire. C’est une mission quotidienne, à 20 h précises, tout près de la place principale de la ville. Là, se tient une cérémonie pour rendre hommage aux soldats britanniques tombés durant la Grande Guerre.
"En semaine, il y a environ 500 à 600 personnes tous les soirs. Le week-end, cela peut monter à plus de 1 000", explique Raoul Saesen, un guide local. Il faut d'ailleurs venir au moins une bonne demi-heure avant le début de ce rassemblement pour espérer trouver une place au mémorial de la porte de Menin. C'est ici même, à l’ancienne entrée médiévale, que les soldats passaient il y a un siècle pour se rendre au front. Ce monument a été construit après-guerre par les Britanniques pour montrer leur attachement à cette terre où tant de leurs compatriotes sont tombés. Inauguré en 1927, il dresse sur ses murs une liste des noms de 54 896 soldats de l’Empire disparus au cours du conflit.
Le dernier appel pour les morts de la Grande Guerre
Selon un rituel immuable, 365 jours par an, la cérémonie débute par une lecture de textes sur l’histoire de la Grande Guerre ou par une prière. Puis, les sonneurs de clairon interprètent le "Last Post" (le dernier appel), la sonnerie aux morts propre aux commémorations militaires britanniques. Sous les voûtes impressionnantes de la porte de Menin, un grand frisson parcourt l’assistance. Dans le silence le plus total, tous les spectateurs sont suspendus aux quelques notes jouées par les membres de The Last Post Association.
La cérémonie est surtout marquée par la musique des joueurs de clairon de la Last Post Association. pic.twitter.com/RLMnq2MrDw
— Stéphanie Trouillard (@Stbslam) 16 mai 2016Comme le veut la tradition, ces musiciens, aux uniformes impeccables, sont des pompiers locaux. Au fil des décennies, ils ont continué l’œuvre du chef de la police d’Ypres, qui a lancé cette cérémonie unique au monde en 1928 pour ne pas oublier le sacrifice des Britanniques dans sa ville. "Nous sommes huit en tout. Nous venons une semaine sur deux", décrit Christophe, sonneur de clairon depuis cinq ans. "Je me sens redevable vis-à-vis de ces jeunes hommes qui ont laissé leur vie durant la guerre. Il y a eu tellement de choses qui se sont passées à Ypres", précise ce pompier en faisant référence à la destruction quasi complète de la ville, située à quelques kilomètres du champ de bataille, entre en 1914 et 1918.
"Je suis ici pour ceux qui ont survécu et ceux qui n’ont pas eu cette chance"
Lors de ce rassemblement quotidien, des membres d’associations, des familles de soldats ou encore des élèves peuvent aussi participer en s’inscrivant au préalable sur Internet et en déposant à tour de rôle des gerbes. Au pied du monument, ce sont des centaines de coquelicots, rouges vifs, le symbole britannique pour honorer les morts au combat, qui témoignent des attentions des visiteurs de passage.
À 92 ans, Ronald Spencer n’a pas hésité à faire le voyage depuis l’Angleterre avec son fils pour venir spécialement déposer une couronne. Un geste simple, mais très fort, en souvenir de son père Fred Spencer : "Il faisait partie des Lancashire Fusiliers durant la Première Guerre mondiale et il a miraculeusement survécu. Je suis ici pour lui mais aussi pour ceux qui n’ont pas eu sa chance. Je me sens à la fois humble et triste de voir que tant d’hommes sont morts pour rien. Ils n’ont même pas eu la chance d’aimer ou d’avoir des enfants".
Ils marchent en silence déposer des célèbres coquelicots britanniques. pic.twitter.com/JXoFsHgjJ6
— Stéphanie Trouillard (@Stbslam) 16 mai 2016À quelques mètres de là, entouréé par son mari et sa fille, Joan Bottrill a elle aussi traversé la Manche pour prendre part à cette cérémonie. Son père John Joseph Petchell, dont elle porte fièrement les médailles sur sa veste, a été blessé en 1917 sur le front en France. En 1928, il avait assisté à l’inauguration du Mémorial : "Moi, c’est la première fois que je viens. Je suis vraiment sans voix. C’est un endroit si important pour les Britanniques. Un lieu véritablement sacré."
Les nouvelles générations ne sont pas non plus en reste. En voyage avec quatre de ses amis, Nicolas Deguire, un jeune soldat canadien du Royal 22e régiment, est également l’un des acteurs du Last Post le temps d’une soirée : "Notre guide nous a proposé de venir déposer une gerbe. Nous n’avons pas hésité. C’est vraiment très émouvant de penser à tous ces hommes qui sont tombés au combat et qui n’ont même pas eu de funérailles".
Depuis 1928, la cérémonie a eu lieu plus de 30 000 fois. Le Last Post a seulement été interrompu de 1940 à 1944, lors de l’occupation allemande de la ville d’Ypres. "Mais le 6 septembre 1944, une heure seulement après la libération de la ville, il y avait déjà quelqu’un pour sonner de nouveau le clairon. Depuis, cela ne s’est jamais arrêté", décrit Raoul Saesen. "Qu’il pleuve ou qu’il vente, les clairons seront toujours là. Pour eux, c’est un honneur !".