
Après plusieurs semaines de contestation dans la rue, c’est dans l’Hémicycle que sera débattue la Loi travail. Les débats s’annoncent interminables après le dépôt de près de 5 000 amendements et tant certaines mesures divisent.
La bataille s’annonce épique. Après plusieurs semaines de contestation dans la rue et par médias interposés, le projet de loi "visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs", dite loi El Khomri, est examiné à partir de ce mardi 3 mai par l’Assemblée nationale.
Pendant deux semaines, jusqu’au vote prévu le 17 mai, les députés français, qui ont déjà annoncé la couleur en déposant près de 5 000 amendements, s’affronteront pour remodeler un texte controversé et déjà retouché par le gouvernement et amendé par la commission des affaires sociales, début avril.
Lundi le rapporteur de la loi, Christophe Sirugue (PS), estimait qu’il manquerait près de 40 voix à gauche pour que la loi soit adoptée, tandis que la droite et le Medef jugent que le texte a été vidé de sa substance par rapport à sa première version.
Tout indique que le gouvernement devra faire de nouvelles concessions pour obtenir une majorité. À moins qu’il n’opte pour l'article 49.3 de la Constitution qui permet au Premier ministre d'engager sa responsabilité pour imposer sa volonté au Palais Bourbon, même si ce n'est pas un "choix privilégié" indiquait mardi matin Manuel Valls .
Bataille annoncée autour de la question des licenciements économiques
Primauté de l'accord d'entreprise en matière de temps de travail, référendums d'entreprises, nouvelles modalités pour les licenciements économiques ou encore la création d’un compte personnel d'activité, le texte porté par la ministre du Travail, Myriam El Khomri, comporte 54 articles.
Une des mesures qui cristallise une grande partie des critiques concerne les motifs de licenciements économiques. Selon leur taille, les entreprises devront justifier de un à plusieurs trimestres de baisse de leurs commandes ou de leur chiffre d'affaires par rapport à l’année précédente pour recourir au licenciement économique. En outre, l’article 30 du projet de loi entend ramener au seul territoire français, et non plus au niveau international, la question du périmètre d'appréciation des difficultés rencontrées par les groupes, qu’ils soient français ou étrangers.
Si, de son côté, la ministre du Travail, Myriam El Khomri, "ne ferme pas la porte à des évolutions", les discussions sur ces points s’annoncent délicates dans l’Hémicycle, d’autant plus que le rapporteur Christophe Sirugue est lui même opposé à la réduction du périmètre géographique et plaide pour un retour au périmètre international ou européen. Dans une tribune publiée par Libération, neuf députés PS, proches de la maire de Lille Martine Aubry, ont d’ores et déjà manifesté leur rejet des critères choisis par le gouvernement pour justifier un licenciement économique.
Ces derniers ont également réclamé que le contenu du Compte personnel d'activité (CPA), une mesure présentée comme une grande réforme sociale du quinquennat par le gouvernement, soit étoffé. Le CPA est destiné à rassembler tous les droits liés au travail, quel que soit le statut du titulaire, afin qu'ils le suivent tout au long de sa carrière, même en cas de chômage, de changement d'emploi ou s'il a fait valoir ses droits à la retraite.
En outre, la loi El Khomri entend donner une place centrale à la négociation collective. C'est-à-dire développer les accords entre employeurs et syndicats, en permettant aux salariés de se prononcer par référendum sur des accords signés par des syndicats ayant récolté au moins 30 % des voix lors des élections professionnelles. Le résultat du vote s'imposerait alors à tous – en cas de majorité exprimée. Cette mesure est fortement contestée par certains syndicats, comme l'Unsa, qui dénoncent "une forme d'opposition à la démocratie représentative qui relèverait d'une logique dangereuse et contre-productive". Là encore, le rapporteur de la loi se dit "très réservé".
La surtaxation des CDD, autre pomme de discorde
Nul doute que la mesure concernant les accords "offensifs" sera elle aussi âprement débattue. Le projet de loi veut autoriser les entreprises à ajuster leur organisation pour "préserver ou développer l'emploi". L'accord majoritaire signé au sein d’une entreprise entre syndicats et patronnat primera sur le contrat, y compris en matière de rémunération et durée de l’embauche. À condition que la rémunération mensuelle du salarié ne soit pas diminuée. Les salariés refusant un tel accord feront l'objet d'un licenciement individuel pour motif économique.
Les "frondeurs" du PS ont prévenu qu’ils étaient décidés, selon le député Laurent Baumel, à "mettre le paquet" sur les accords "offensifs". Ainsi que sur la primauté donnée aux accords d'entreprise en matière de durée du travail, qui reste fixée à 35 heures, mais qui pour des aménagements peuvent être modifiés par un accord d’entreprise en cas d'activité accrue ou pour des motifs liés à des questions d'organisation.
Enfin, la question de la surtaxation obligatoire des CDD fait elle aussi polémique alors qu’elle ne figure même pas dans le texte de la loi. C’est le Premier ministre, Manuel Valls qui, après sa rencontre avec les syndicats étudiants le mois dernier, avait indiqué que le gouvernement ajoutera cette proposition via un amendement, non sans s’attirer l’ire du patronat. Là aussi, Christophe Sirugue a prévenu qu'il était "hors de question" de soutenir une telle mesure, tout en préconisant de "laisser ça à la main des partenaires sociaux".