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Attentat de Lahore : "Les musulmans restent les premières victimes du terrorisme au Pakistan"

Les Taliban pakistanais ont affirmé que les chrétiens étaient "la cible" de l’attentat perpétré à Lahore dimanche. Mais en menant une attaque aveugle, ils savaient qu’il y aurait des victimes parmi les musulmans, explique Jean-Luc Racine du CNRS.

Une faction des Taliban pakistanais a revendiqué, lundi 28 mars, l’attaque kamikaze menée dans un parc de Lahore, au Pakistan, en plein dimanche de Pâques. "Nous avons perpétré l'attentat de Lahore car les chrétiens sont notre cible," a déclaré à l'AFP le porte-parole de l’organisation Jamaat-ul-Ahrar.

Cet attentat, dont le bilan s'est alourdi à 72 morts, dont 29 enfants, est le plus meurtrier cette année au Pakistan. Ce n’est pas la première fois que la communauté chrétienne y est la cible des Taliban. En mars 2015, un double attentat-suicide perpétré contre des églises à Lahore avait fait 17 morts.

Selon un porte-parole de la ville, "10 à 15 chrétiens" ont été décomptés parmi les morts, que les autorités s'efforcent toujours d'identifier. Bien qu’elle visait les chrétiens, l’attaque de dimanche a vraisemblablement "fait davantage de morts chez les musulmans", rappelle à France 24 Jean-Luc Racine, directeur de recherche au CNRS.

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Attentat de Lahore : "Les musulmans restent les premières victimes du terrorisme au Pakistan"

"Ce qui, en soi, est dans la triste norme pakistanaise puisque les musulmans restent de loin les premières victimes du terrorisme au Pakistan. Le Jamaat ul-Ahrar a spécifiquement revendiqué une attaque contre les chrétiens en ce jour de Pâques mais quand on perpètre un attentat-suicide dans un parc, près d’un manège pour enfants, on sait très bien qu’on va toucher tout le monde. C’est aussi dans la ligne des attentats qui visent par exemple les marchés, où on sait que femmes et enfants seront aussi victimes."

La communauté chrétienne, qui représente un peu moins de 2 % de la population de ce pays de 200 millions d'habitants, majoritairement des musulmans sunnites, se savait visée de longe date. Mais ses craintes se sont accrues avec l'exécution en février 2016 d'une figure islamiste radicale, Mumtaz Qadri. Ce dernier a été érigé au rang de martyr par ses partisans puisqu’il a été condamné à la peine capitale pour avoir abattu, cinq ans plus tôt, Salman Taseer, gouverneur du Pendjab et partisan déclaré d'une révision de la loi sur le blasphème.

Cette loi condamne "ceux qui, par des paroles ou des écrits, des gestes ou des représentations visibles, avec des insinuations directes ou indirectes, insultent le nom sacré du prophète". Mais beaucoup d’observateurs affirment que depuis sa promulgation en 1986, elle est régulièrement utilisée comme un moyen de représailles lors de contentieux d’ordre privé. Comme c’est le cas pour Asia Bibi, une chrétienne condamnée à mort et incarcérée depuis 2010 pour blasphème, après une dispute avec des femmes musulmanes de son village.

"Quand des chrétiens pakistanais sont accusés de blasphème, ce qui peut mener à la peine de mort, il y a toujours un écho international, rapporte Jean-Luc Racine. Mais, là aussi, quand on regarde les chiffres, on se rend compte que les principales cibles de cette loi, qu’il est très périlleux de contester, sont des musulmans parce qu’elle sert à régler des comptes entre voisins qui ne s’aiment pas."

"Retour de bâton"

Par l’attaque de Lahore, les Taliban ont également voulu envoyer un signal au pouvoir civil qui avait fait part de sa volonté de réviser la loi sur le blasphème. "Le Pendjab, où se trouve Lahore, est le bastion politique du Premier ministre, Nawaz Sharif, dont le frère est, par ailleurs, chef du gouvernement de cette province", rappelle le chercheur.

"Notre résolution à combattre le terrorisme [...] devient plus forte à mesure que le lâche ennemi s'en prend à des cibles vulnérables", a tonné le Premier ministre peu après l’attentat de Lahore. Longtemps accusé d'avoir joué sur la corde islamiste, l'armée a annoncé une série "d'opérations" dans différentes localités, l'arrestation de plusieurs "terroristes et intermédiaires présumés", ainsi que la découverte "d'une énorme cache d'armes et de munitions".

"Il y a maintenant au Pakistan une conjonction entre le pouvoir militaire et le pouvoir civil, estime Jean-Luc Racine. Les militaires sont en train de se rendre compte que d’avoir instrumentalisé l’islamisme militant pouvait provoquer un sérieux retour de bâton. Les groupes jihadistes vont commencer à être dans la ligne de mire de l’armée, qui est parfois elle-même victime d'attentats". L’attentat le plus meurtrier que le Pakistan ait connu avait d'ailleurs ciblé une école militaire de Peshawar, au nord-ouest du pays. L'attaque commise par les Taliban pakistanais le 16 décembre 2014 avait fait  151 morts, dont 134 enfants.

"Le problème est loin d’être réglé"

L’attentat de Lahore porte en tous cas un coup sérieux aux nombreuses promesses d'embellie sécuritaire des autorités. "Le ministre de l’Intérieur s’était vanté de voir les chiffres des attentats baisser, ce qui était statistiquement vrai, mais le problème est loin d’être réglé et le groupe Jamaat ul-Ahrar a affirmé que le Penjab continuerait d’être visé", indique Jean-Luc Racine, pour qui le problème terroriste au Pakistan est loin d’appartenir au passé. "La fabrique de suicidaires et la culture de la mort, si on peut l’appeler comme ça, est toujours en marche. Il ne faut pas de grands moyens aux Taliban pour mener ce genre d’attentats : une ceinture d’explosifs de quelques kilos suffit."

La tâche pour le pouvoir pakistanais est d’autant plus ardue que le Jamaat ul-Ahrar constitue une organisation mouvante. "Ce groupe fait des va-et-vient. Certains des Taliban ont quitté le mouvement pour prêter allégeance à Daech [autre nom de l’organisation État islamique], d’autres se positionnent sur une ligne plus radicale, précise le spécialiste. Les Taliban se composent d’une multiplicité de groupes : certains sont strictement anti-chiites, d’autres anti-militaires, d’autres anti-Indiens. Cette nébuleuse est un des éléments du problème."