Les Iraniens sont appelés à voter lors d'un double scrutin pour renouveler le Parlement et l'Assemblée des experts, le 26 février. Deux étapes cruciales pour le président modéré Hassan Rohani et sa politique d'ouverture et de réformes. Décryptage.
Le 26 février, les Iraniens sont appelés à voter lors d’un double scrutin crucial pour l’avenir du pays. Le premier concerne le renouvèlement du Parlement et le second l'Assemblée des experts, qui est composée de religieux chargés de désigner le Guide suprême. Ces deux institutions clés de la République islamique sont actuellement dominées par le camp conservateur, et ses alliés ultraconservateurs.
Ces élections, les premières depuis l'accord historique sur le nucléaire iranien conclu en juillet 2015, sont critiques pour le président modéré Hassan Rohani, élu pour 4 ans en 2013. Ce dernier espère obtenir une majorité d’élus modérés au Parlement, afin de pouvoir faire passer ses réformes politiques et sociales.
France 24 a interrogé Azadeh Kian, professeure en Sociologie politique à l'Université Paris 7- Diderot, spécialiste de l'Iran.
France 24 : Quels sont les enjeux des élections législatives iraniennes et quelle incidence peuvent-elles avoir sur la poursuite de la politique d’ouverture initiée par le président Hassan Rohani ?
Azadeh Kian : L’enjeu pour le président Hassan Rohani, donc pour le camp modéré habilement placé au centre de l’échiquier politique, est d’obtenir un Parlement qui lui soit favorable, afin qu’il puisse appliquer son programme. Et aujourd’hui, le Parlement est actuellement aux mains du camp ultraconservateur qui s’oppose obstinément à sa politique d’ouverture. Il a déjà réussi le premier volet de son programme en sécurisant la signature d’un accord sur le nucléaire avec les grandes puissances, il se doit maintenant de réussir sur le plan interne où la priorité reste le redressement de l’économie qui passe par la création d’emplois et par l’arrivée d’investisseurs occidentaux, en particulier des Européens.
Il avait également fait des promesses sur le plan des libertés individuelles et pour les droits des femmes. Or pour parvenir à ses fins, il lui faut un Parlement prêt à accepter des réformes et des changements. Des succès éventuels dans ce sens pourraient l’aider à préparer le terrain pour sa réélection en 2017. Le président Rohani est populaire, mais la classe moyenne iranienne s’impatiente, car elle n’a pas encore constaté d’améliorations dans sa vie quotidienne. Mais elle garde espoir et reste prête à donner une chance aux modérés d’appliquer leur programme car elle a vu les ultraconservateurs à l’œuvre pendant 8 ans.
De nombreux candidats réformateurs ayant été écartés, peut-on affirmer que ce scrutin est joué d’avance ?
Les élections ont beau être verrouillées en apparence, elles ne le sont jamais totalement. Il y a toujours des surprises en Iran à cause de la nature factionnelle du régime. Si le système a soigneusement barré la route aux principales figures des réformateurs, via une sélection draconienne des candidats, ce camp, qui jouit d’une popularité non négligeable auprès des jeunes et des femmes, peut mobiliser de nombreux électeurs. D’ailleurs l’ancien président réformateur Mohammad Khatami a appelé à voter massivement en sa faveur. Les modérés, qui ont formé à Téhéran une liste commune avec des réformateurs modérés, sont clairement favoris des législatives, surtout dans le cas d’une participation massive.
Il faut cependant compter avec le pouvoir de nuisance des chefs des Gardiens de la Révolution, qui, s’ils ne peuvent influencer le vote, peuvent organiser des fraudes, mobiliser des électeurs et faire pression sur des candidats. Il en va de leurs intérêts personnels, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils sont pour le statu quo, notamment au Parlement, où ils sont très influents actuellement au côté des ultraconservateurs. Toujours est-il que ces élections sont la source de débats entre les différentes factions, qui ne peuvent être indéfiniment imperméables aux revendications de la jeunesse iranienne. Certains candidats ont 70 ou 80 ans, alors que 70 % des Iraniens ont moins de 40 ans. Si les têtes de liste sont toujours les mêmes, on assiste à un renouvellement relatif des candidats, notamment dans les provinces.
Que faut-il attendre de l’autre élection, celle des membres de l'Assemblée des experts, qui oppose là aussi les modérés aux réformateurs ?
L’enjeu est là aussi colossal, car cet organe, composé de religieux, est chargé de nommer le Guide suprême, le poste le plus élevé de la République islamique. Élus pour un mandat de huit ans, ses membres risquent fort d’être appelés à désigner un successeur au guide actuel l'ayatollah Ali Khamenei, âgé de 76 ans et qu’on dit atteint d’un cancer. D’ailleurs, Hassan Rohani en personne et l’ancien président Akbar Hachemi Rafsandjani sont candidats à ce scrutin. À l’instar des législatives, si les électeurs respectent une certaine logique, les modérés peuvent faire basculer l’organe de leur côté, même si le Guide aura du mal à laisser cela se faire. En outre, on voit que la liste formée de réformateurs et de modérés est déjà sous le feu des critiques du camp conservateur qui l’accuse d’être soutenue par des Occidentaux.
En résumé, toute cette effervescence et ces débats indiquent que l’Iran est à la croisée des chemins, de part la conjoncture marquée par l’accord sur le nucléaire et l’émergence d’un nouvel ennemi pour les l'Occident, qui est Daech [organisation de l’État islamique, NDLR]. Tout ce contexte est favorable aux changements, apporte de l’eau au moulin des modérés, et joue en défaveur du camp du statu quo.