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"The Revenant" : le chemin de croix de DiCaprio dans l’Amérique des pionniers

Avec "The Revenant", le Mexicain Alejandro G. Iñarritu signe un film d’action hors norme encombré par un onirisme chamaniste de pacotille. En trappeur supplicié, Leonardo DiCaprio s’est surpassé pour tenter (enfin) de rafler un Oscar.

"Sept fois à terre, huit fois debout". L’adage nous vient du Japon mais aurait pu tout aussi bien trouver sa source dans l’Amérique des pionniers telle que nous le montre le cinéaste mexicain Alejandro Gonzales Iñarritu dans "The Revenant". Le "revenant" en question n’est pas un fantôme mais un être de chair et d’os dont la capacité quasi surhumaine de résilience constitue l’enjeu principal de ce film d’action hors norme, sauvage, sensoriel.

Dans le rôle titre, Leonardo DiCaprio ne ménage pas ses efforts. Rarement un acteur aura dû subir à l’écran autant de supplices. Attaqué par un Amérindien arikara, salement amoché par un grizzly (la scène est impressionnante de sauvagerie animale), emporté dans un torrent, laissé pour mort en plein territoire indien par ses compagnons de route, précipité dans un ravin alors qu’il tente d’échapper à une horde de cruels "coureurs des bois", le comédien fait preuve d’un tel sens du sacrifice qu’on ne peut s’empêcher d’y déceler une irrépressible envie de rafler l’Oscar dont Hollywood l’a toujours privé. À voir l’enthousiasme suscité outre-Atlantique par sa prestation, on imagine d’ailleurs mal comment la statuette pourrait lui échapper le 28 février prochain.

À mille lieues des rôles de minet sur lesquels il bâtit son succès précoce, le héros malheureux de "Titanic" incarne ici Hugh Glass, un chasseur des grandes plaines américaines qui sert de guide aux trappeurs britanniques. En ce début du XIXe siècle, ces derniers font commerce de peaux de bêtes, un accessoire tant convoité par les fourreurs européens. Nous sommes donc au cœur du mythe des États-Unis naissants, aux pieds de ces inhospitalières Rocheuses où la rudesse de la nature le dispute à la concupiscence des conquérants.

La beauté encore vierge du Nouveau Monde est ici sublimée par la photographie d’Emmanuel Lubezki, fidèle chef opérateur du réalisateur mexicain. La laideur morale des hommes est, elle, révélée par une mise en scène millimétrée qui fait se succéder dans l’action d’impressionnants plans séquences où se débattent des corps martyrisés (on en a mal pour eux).

Un Terrence Malik en mal d’inspiration

Reste que cette application formelle, par la répétition d’effets de style esthétisants, vire aux tics de réalisation. Au bout du dixième travelling avant dans les bois crépusculaires, on se demande si on n’a pas atterri dans un Terrence Malik en mal d’inspiration. Au-delà de l’ennui qu’ils procurent, ces détours oniriques tendance chamane dénotent le peu de confiance qu’Iñarritu semble accorder à la matière brute de son histoire. Celle de la fondation d’un territoire où s’affrontent deux lignes de conduite.

D’un côté se situe Hugh Glass, héros qui refuse de mourir pour sauver son honneur et celui de sa famille, incarnation d’une Amérique ouverte et métissée (le personnage a vécu avec une Amérindienne qui lui a donné un fils), opiniâtre et infatigable, capable de se relever après n’importe quel coup porté. De l’autre se trouve son antagonisme et ennemi intime, John Fitzgerald (Tom Hardy), trappeur roué et sans scrupules, symbole d’une Amérique vénale, manipulatrice et individualiste dont la défense obsessionnelle de ses intérêts peut conduire à sa propre perte.

De cette dualité - qui n’a rien d’un scoop - Alejandro G. Iñarritu tire le meilleur de ce que le cinéma peut faire en termes d’action, poussant les limites du genre à un niveau encore jamais atteint. Mais l’enrobage spirituel forcé éloigne constamment "The Revenant" du joyau de sauvagerie brut que l’on pouvait attendre d’un western nourrissant l’ambition de devenir un classique.

"The Revenant" d’Alejandro Gonzales Iñarritu, avec Leonardo DiCaprio, Tom Hardy, Domhnall Gleeson… 2 h 36