Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté dimanche contre la corruption et pour des élections anticipées en Moldavie, pays le plus pauvre d'Europe. Retour sur les origines d’une crise politique et morale.
La crise couve depuis neuf mois en Moldavie. Dimanche 24 janvier, elle a atteint un pic : après une semaine de manifestations, près de 40 000 personnes se sont rassemblées devant l’Assemblée nationale de Chisinau, la capitale moldave, pour protester contre la nomination du nouveau Premier ministre pro-européen, Pavel Filip, et réclamer la tenue d'élections parlementaires anticipées.
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Un rassemblement de taille, au regard des 3,5 millions d’habitants, qui en dit long sur la colère des Moldaves, toujours plus nombreux, aussi bien pro-européens que pro-russes, à exprimer leur colère face à la corruption généralisée et la collusion des pouvoirs qui gangrènent leur pays.
"La disparition du milliard"
Dans le viseur des manifestants, un homme en particulier : Vlad Plahotniuc, l’oligarque le plus puissant du pays. De la justice à la police en passant par l’énergie, les médias et la politique, l'homme est omniprésent. Peu populaire dans le pays, il est accusé de tous les maux de la fragile démocratie.
"L’opposition et la société civile manifestent pour dénoncer la collusion entre le pouvoir politique et l’homme le plus riche du pays, accusé de tenir les ficelles du pouvoir et d’être derrière la nomination du nouveau Premier ministre", explique Thomas Merle, doctorant en géographie politique et spécialiste de l’ex-URSS.
Les protestataires reprochent, entre autres, à Vlad Plahotniuc d’être derrière la disparition du "milliard", ces 915 millions d’euros – soit 15 % du PIB moldave - évaporés en avril dernier du système bancaire. Ce scandale, qui avait déclenché les premières manifestations, a conduit à l'arrestation, en octobre, de l'ancien Premier ministre Vlad Filat, soupçonné d'avoir détourné 250 millions de dollars. Dans ce pays considéré comme le plus pauvre d’Europe, où les habitants gagnent en moyenne 200 euros par mois, la pilule est dure à avaler. Les Moldaves multiplient depuis les rassemblements pour également exiger la démission du président Nicolae Timofti, accusé de servir les intérêts des oligarques et non celui de son peuple.
"S’ils obtiennent des élections anticipées, ils risquent de se déchirer"
Les récentes manifestations ont vu défiler côte à côte pro-européens et pro-russes, de droite comme de gauche. "Les manifestations sont extrêmement composites, socialement et politiquement. Elles mélangent aussi bien les socialistes que l’extrême droite, les communistes plutôt pro-russes ou des élites intellectuelles comme la plateforme Dignité et vérité plutôt pro-européennes", explique Thomas Merle qui estime que "c’est une crise politique, liée à des questions nationales et à un état trop faible".
Aucune force politique alternative, représentante de la société civile, ne parvient à s’imposer pour l’instant. "Tous les manifestants sont unis contre le pouvoir actuel et contre la domination de l’oligarque. Mais s’ils obtiennent des élections anticipées, ils risquent de se déchirer car il n’y a pas de socle politique commun ni de leader qui se détache", poursuit Thomas Merle.
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Jusqu'ici, les tensions politiques moldaves ont souvent été analysées comme un affrontement entre les forces européennes et celles tournées vers Moscou. De fait, cette ancienne république soviétique, dont la population est à 78 % d’origine roumaine et 14 % issue des minorités russe et ukrainienne, est coincée entre l’Ukraine déchirée et la Roumanie européenne. La Moldavie avait signé en 2014 un traité d’association avec l’UE, au grand dam de Moscou, et comptait s’ancrer à l’Occident, mais la nostalgie de l’époque soviétique se réveille. Si les manifestants sont aujourd’hui unis contre le pouvoir, il n’est pas exclu que les forces politiques pro-russes exploitent la colère populaire pour remettre en question le choix européen de la Moldavie. Un scénario qui n’est pas sans laisser penser au voisin ukrainien.