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Déchéance de nationalité : du débat juridique à la bataille politique

Depuis l’annonce de l'extension de la déchéance de nationalité française aux binationaux condamnés pour terrorisme, la classe politique se déchire, y compris au sein du PS. La mesure, symbolique, donne lieu à une bataille d’arguments contradictoires.

La possibilité de déchoir un individu condamné pour terrorisme de sa nationalité française devait être le symbole du combat pour l’unité nationale. Elle s’apparente davantage aujourd’hui à celui de la division nationale. Alors que la majorité des Français serait favorable à la déchéance de la nationalité pour les binationaux condamnés pour terrorisme selon un sondage Opinionway pour "Le Figaro" publié mercredi 30 décembre, le parti socialiste est plus que jamais divisé.

Les parlementaires, réunis en congrès à Versailles le 23 novembre dernier, semblaient pourtant unanimes dans leur soutien à l'annonce par François Hollande que cette mesure serait incluse dans une réforme constitutionnelle. Mais un mois et demi plus tard, elle bouleverse les repères partisans. Selon Bernard Roman (PS), cité par L’Obs, 80 % des députés socialistes y seraient opposés alors que le vote de la droite et de l’extrême droite semble presque acquis. Chacun développe des arguments divers pour justifier cette adhésion parfois contre-nature au projet gouvernemental.

"Le serment de Versailles"

Parmi ceux qui se disent prêts à voter la réforme constitutionnelle, les députés socialistes et radicaux le font biensouvent pour soutenir la politique conduite par le gouvernement, tandis que les parlementaires issus des rangs de l’opposition (principalement LR, UDI et FN) le font par conviction. François Hollande est d’ailleurs très critiqué, à gauche, pour avoir fait sienne cette mesure défendue par Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen.

Le Président et son Premier ministre, Manuel Valls, tentent donc de rallier leur majorité à l’idée de la déchéance de nationalité en rappelant qu’appartenir à la nation française et commettre des attentats à son encontre sont incompatibles. Dans un billet publié sur Facebook le 28 décembre, Manuel Valls expliquait que "la déchéance symbolisera[it] l’exclusion définitive du pacte national de ceux qui ont commis des crimes terroristes".

Et à ceux qui ne seraient pas convaincus, Manuel Valls rappelle dans une interview au JDD qu’ils sont en quelque sorte liés par l’unanimité affichée lors du discours de François Hollande face au Congrès. Un "serment de Versailles", afin de ne pas forcer le Président à sortir "du cadre qu'il a fixé, c'est-à-dire l'unité nationale".

Chez les partisans, des arguments différents de gauche à droite

Comme pour se convaincre, certains députés socialistes évoquent une simple rectification d’une inégalité constitutionnelle : les binationaux ayant "acquis la nationalité française par naturalisation (…) peuvent aujourd'hui être déchus de la nationalité française", explique Alain Calmette, député PS du Cantal, dans un billet sur Facebook. Ceux qui sont nés en France (ayant donc acquis la nationalité à la naissance, par le droit du sol) ne peuvent effectivement pas être la cible de cette mesure pour l’instant. "Il y a déjà une différence de traitement entre Français", conclut Alain Calmette pour qui il s’agit donc "d'unifier le cas de tous les binationaux".

Dans une note envoyée aux députés socialistes et dévoilée par le Lab d’Europe 1, le groupe socialiste à l’Assemblée tente de venir en aide à ses membres en dégageant quelques éléments de langage. Le document, en écho aux propos de Manuel Valls, qualifie la déchéance de nationalité de "sanction que la Nation est légitimement en droit d’infliger à celui qui la trahit au point de la renier".

L’argumentaire va plus loin en mentionnant les "effets concrets" d’une telle mesure : éloigner l’intéressé "vers le pays dont il a la nationalité" ou le priver de "droits qui s'attachent à la qualité de Français : notamment droits politiques et accès à certaines fonctions".

Enfin, l’opposition de droite, qui devrait voter majoritairement en faveur de la réforme constitutionnelle, défend principalement la valeur symbolique de cette mesure. Face aux attaques qu’a subies la France, "il faut des mesures efficaces et des mesures symboliques", jugeait ainsi Philippe Vigier, président du groupe UDI à l'Assemblée, mercredi 30 décembre sur Sud Radio. "C'est un point symbolique très fort, (qui) montre l'importance de la nationalité", le rejoint Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France au micro de BFMTV/RMC.

Les opposants dénoncent en cœur une mesure inefficace

Les opposants insistent, eux, sur l’inefficacité supposée d’une telle sanction. "Cette mesure est, selon l'aveu du Premier ministre lui-même, inefficace pour lutter contre le terrorisme, confiait ainsi Benoit Hamon au JDD. Pas un terroriste français ne renoncerait à son acte de folie parce qu'on le menacerait de perdre son passeport."

L’ancien ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche du gouvernement Valls I craint aussi que la déchéance de nationalité ne laisse penser à des "millions de Français" qu’ils sont des citoyens de seconde zone. "Nous donnerions raison à tous ceux qui manipulent notre jeunesse et lui affirment qu'une partie d'entre eux n'ont jamais été considérés comme de vrais Français dans leur propre pays." Une analyse partagée par beaucoup et prolongée par Olivier Faure, vice-président du groupe socialiste à l'Assemblée et porte-parole du PS : "Daech instrumentalisera vraisemblablement cette décision pour aller chercher les plus fragiles des Français qui peuvent se sentir citoyens de seconde zone".

Dans la même veine, le porte-voix du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon, dénonce l’émergence d’un statut de "Français de souche". À l’aile gauche du PS, dont Mélenchon est issu, le chef de file des frondeurs Christian Paul, regrette que des millions de Français puissent lire dans cette mesure l'"idée qu'il y aurait dans notre constitution deux catégories de Français et que certains le sont moins que les autres".

Une fois n’est pas coutume, Christian Paul tombe ainsi d’accord avec l'ex-ministre de Nicolas Sarkozy Benoist Apparu, qui sera l’un des rares députés LR à ne pas voter la déchéance de nationalité, parce qu’elle "ne servira strictement à rien", a-t-il jugé mardi sur RTL notamment. "J'aime beaucoup les symboles, c'est très important les symboles. Mais peut-être qu'en France, on pourrait arrêter de faire de la politique avec des symboles pour faire des choses efficaces."

Certains, enfin, voteront contre, car le champ de la mesure leur semble insuffisant. C’est le cas du député LR Guillaume Larrivé, qui souhaite voir la déchéance de nationalité étendue aux auteurs de délits terroristes en plus de ceux coupables de crimes. "Le texte que propose François Hollande ne s'appliquerait qu'aux criminels, c'est-à-dire à des individus condamnés par une cour d'assises. (…) Moi je veux par exemple, a ajouté le député de l'Yonne, qu'un jihadiste qui a porté les armes dans la zone irako-syrienne et qui passe devant un tribunal correctionnel comme auteur d'un délit terroriste (...) soit aussi déchu de la nationalité française".

Une intransigeance que même Florian Philippot ne partage pas. L’eurodéputé du Front national, très satisfait de voir proposée par le gouvernement une mesure défendue par son parti depuis des années, souhaite élargir le champ de la déchéance de nationalité à d’autres "crimes très graves", mais "sur le principe, on [les députés FN] peut voter pour".