
Apple a perdu, mardi, son procès contre l’Université de Wisconsin-Madison. Le groupe pourrait payer près d’un milliard de dollars à l'établissement qui prétend que les iPhone violent l'un de ses brevets.
L’Université de Wisconsin-Madison pourrait bien s’enrichir de 862 millions de dollars (756 millions d’euros) grâce à Apple. Il ne s’agit pas d’une généreuse donation de la marque à la pomme, mais le résultat d’un féroce combat juridique qui a tourné, mardi 13 octobre, à l’avantage du Wisconsin Alumni Research Foundation (Warf) qui gère le portefeuille de brevets de l’université.
Les modèles d’iPhone ou d’iPad de 2014 violent le brevet 5 781 752, déposé en 1998 et détenu par l’université du Wisconsin, a tranché un jury de cet état du nord américain. Le Warf soutient dans sa plainte qu’Apple n’aurait pas dû commercialiser ses iPhone 5, 5s, 6 car ces produits utilisent une technologie d’amélioration des performances des processeurs (composants qui agissent comme les “moteurs” des smartphones) qui découlerait du fameux brevet. Le géant de la Silicon Valley aurait d’abord dû payer l’université pour pouvoir concevoir ses smartphones et tablettes.
Brevet vieux de 15 ans
Apple avait tenté depuis près d’un an de faire invalider le brevet en question, mais a été débouté de sa demande en avril dernier. Le verdict est d’autant plus regrettable pour la marque à la pomme que le Warf a déposé une nouvelle plainte début octobre contre les nouveaux modèles d’iPhone 6s en se fondant toujours sur le même brevet. L’addition pourrait donc encore grimper. Le montant exact n’est pas encore fixé et les 862 millions de dollars correspondent à ce que réclame l’université. Un nouveau procès doit se tenir dans les semaines à venir pour trancher cette question.
Cette affaire de gros sous pour une question de brevet vieux de plus de 15 ans peut surprendre. Mais elle est loin d’être inédite dans un pays où le droit de la propriété intellectuelle a engendré une armée de "patent troll" (littéralement "troll de brevets"), des spécialistes de l’utilisation des brevets à des fins judiciaires et pécunières.
Cette vieille tradition remonte à George Seldon qui a déposé en 1876 un brevet pour "un engin roulant" sans chevaux. Il a attendu les débuts de l’industrie automobile au tournant du siècle pour brandir son document et négocier de juteux accords de licence. Les fils spirituels de cet avocat se sont multipliés au courant du XXe siècle et ont trouvé un terrain très fertile avec l’explosion de l’économie du numérique qui repose grandement sur l’innovation technologique.
Près de 30 milliards de dollars
Les "patents trolls" se constituent des portefeuilles de brevets (rachetés aux inventeurs ou à des entreprises qui font faillite) qu’ils utilisent comme autant d’armes contre des entrepreneurs qui mettent sur le marché de nouveaux produits. Ils espèrent que face à la perspective d’une coûteuse procédure à l’issue incertaine, leur cible préfère transiger avant le début d’un éventuel procès pour violation de brevet.
La Maison Blanche et le Congrès ont estimé que l’activisme judiciaire des "patent trolls" a coûté en frais de procédure et indemnités 29 milliards de dollars à l’industrie high-tech américaine en 2013. Les frères ennemis Google, Apple, Samsung et d’autres se sont même associés pour lutter contre la prolifération de ces "empêcheurs d’innover en rond".
Qu’ils s’appellent Intellectual Ventures, Digitude Innovation ou encore Inventergy, il s’agit la plupart du temps de petites entreprises. Mais des universités ? Ces symboles du savoir n’ont pas la réputation d’être poussées par l'appât du gain. Pourtant le Warf de l’Université du Wisconsin détient 1 600 brevets et s’en est déjà servi pour poursuivre Intel en 2009 et obtenir un accord dont le montant est resté secret. L’an dernier, la Carnegie Mellon University a obtenu plus d’un milliard de dollars du groupe informatique Marvell dans une autre bataille de brevets très médiatisés.
Le monde universitaire s’est aussi attiré les foudres du secteur tech en s’opposant à la loi américaine sur l’innovation, en débat depuis 2013, et dont l’un des articles phares est de compliquer la tâche aux "patents trolls" (explicitement appelé ainsi par le législateur). "Surprise, surprise : les universités soutiennent les ‘patents trolls’", titrait le "Washington Post" à l’époque. La victoire du Warf contre Apple ne va pas apaiser les tensions.
Les universités refusent pourtant d’être mises dans le même sac que ces sociétés chasseuses de brevets. Leur principal argument : avec la réduction des subventions publiques, les innovations de leurs chercheurs maison deviennent de plus en plus précieuses et ces institutions doivent les protéger à tout prix. Ils précisent aussi que moins de 2 % des actions intentées pour violation de brevets viennent d’universités, selon une étude du Center for Internet and Society publiée en 2014.
Qu’importe rétorquent les entreprises du high-tech. Les universités n’intentent peut-être que rarement directement des actions pour violation de brevet, mais elles revendent souvent ses brevets à des "patents trolls" qui, eux, n’ont aucun scrupule. Un commerce qui leur a rapporté 2,6 milliards de dollars en 2012.