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La porte de Saint-Ouen, refuge de misère pour des migrants syriens

Arrivés de Syrie, il y a des mois ou quelques jours, près d’une centaine de migrants syriens vivent dans un campement à porte de Saint-Ouen. Sans-abri, ils passent leurs journées à mendier et à attendre une solution d’hébergement. Reportage.

"Nous voulons juste un toit", murmure Khadra, les yeux emplis de larmes. La jeune femme de 24 ans serre dans ses bras un nourrisson de trois semaines à peine, emmailloté dans une couverture. Une petite fille. "Ce n’est pas un endroit ni pour elle, ni pour les autres enfants", poursuit-elle surveillant de loin ses fils qui jouent avec d’autres petits, presque sur la chaussée.

Avec son époux et ses enfants, Khadra a quitté la Syrie il y a deux ans. "Nous vivions bien, avant la guerre", se souvient-elle. Depuis deux mois, ils dorment sous une tente sur un trottoir boueux, tout près de la porte de Saint-Ouen. Là-bas, sous le périphérique parisien, un campement sauvage est installé. Apparu pour la première fois en mars 2014, puis démantelé après une régularisation exceptionnelle des migrants syriens présents alors, il est réapparu début 2015. Aujourd’hui environ 80 personnes ont élu domicile dans une dizaine de tentes, disposées entre la route et une voie réservée aux bus. Certains sont là depuis plusieurs mois, d’autres viennent tout juste d’arriver.

La porte de Saint-Ouen, point de ralliement des migrants syriens

La porte de Saint-Ouen est devenue depuis plus de 18 mois un point de ralliement pour les exilés syriens. Arrivés clandestinement dans l’Hexagone, certains fuyant la guerre qui ravage leur pays se retrouvent dans cette zone en bordure du périphérique, avant d’entamer des démarches de demande d’asile en France ou de tenter de gagner un autre pays européen. "Tout le monde sait que les Syriens se retrouvent porte de Saint-Ouen, c’est notre endroit", raconte Dounia, qui a préparé son voyage en se renseignant sur Facebook. La jeune femme de 19 ans, au sourire franc, veut faire contre mauvaise fortune bon cœur. "On vit comme on peut ici pour l’instant, et un jour notre situation va s’améliorer", assure-t-elle.

Pour arriver en France, la route a été longue. Comme la plupart de leurs compatriotes du campement, Khadra et Dounia n’ont pas emprunté la fameuse route des Balkans. Avec leurs enfants, elles sont arrivées via l’enclave espagnole de Mellila, en ayant d’abord gagné l’Algérie par avion, depuis le Liban ou la Turquie. Sur la route de l’exil, la vie continue, Dounia a accouché de son fils Mohammed, aujourd’hui âgé de deux ans, en Algérie, et la petite fille de Khadra est née en Belgique il y a trois semaines. "Mon père et ma sœur ont demandé l’asile à Bruxelles, je suis allée leur rendre visite, et j’ai accouché pendant mon séjour là-bas", raconte la jeune femme.

"Beaucoup de personnes viennent nous aider, nous apporter des vêtements, et à manger", racontent les jeunes femmes. Avec les images des drames de l’immigration clandestine de l’été et surtout après la publication de la photo du petit Aylan noyé sur une plage turque, de nombreuses personnes ont voulu aider les réfugiés syriens. De l’aide spontanée, parfois non organisée par les associations. Mais au campement de la porte de Saint-Ouen, on ne sait plus quoi faire de tous ces vêtements reçus. "Regardez ce qui se passe !", s’exclame Leila, montrant du doigt un tas de sac poubelles. La jeune femme de 24 ans explique que faute de moyen pour trier et ranger, ils entassent les vêtements dont ils n’ont pas besoin là-bas. "Nous n’avons pas besoin de ces choses, nous avons besoin d’aide", pleure cette mère de quatre enfants. "J’ai laissé mes petits en Syrie avec leur père qui n’a pas osé quitter le territoire car il se cache, il est appelé à rejoindre l’armée. Je dois absolument régulariser ma situation pour qu’ils me rejoignent", explique-t-elle.

"On regrette d’avoir choisi la France"

Les démarches administratives sont un véritable obstacle pour eux. Difficile de constituer le dossier de demander d’asile, quand on ne connaît que quelques mots de français. Plusieurs associations et des anonymes viennent aider les réfugiés à remplir leurs papiers. Mais à ces sans-abri, il manque une adresse pour recevoir le courrier. "Il y a des personnes qui acceptent de domicilier le courrier chez eux", raconte Ahmad, "mais ils nous demandent de l’argent en échange ", ajoute-t-il en baissant la voix.
"En Syrie on avait une situation et là on est obligé de mendier pour manger et se payer une nuit d’hôtel", déplore Bilal, qui montre tristement sa carte de membre de la Chambre de commerce de Banias, ville du littoral syrien. "Je vendais des pièces de rechange pour voitures et j’ai aussi un permis poids-lourd ", explique-t-il. Il a fait sa demande d’asile et attend depuis huit mois la réponse de l’Office français pour les réfugiés et les apatrides (Ofpra). "C’est long et, en attendant, on est dans la misère, sans-abri et on ne peut pas travailler. Pourquoi ?"

"On a choisi la France, parce qu’elle s’est toujours dite amie de la révolution syrienne, mais nous regrettons tous d’être venus ici, où on nous traite pire que des animaux", se désole Bilal, qui insiste sur le fait qu’il ne demande qu’à pouvoir travailler. "Personne ne nous entend", s’indigne-t-il. Avec sa famille, ils sont une vingtaine de personnes de la même parenté, ils réfléchissent sérieusement à aller demander l’asile en Belgique. Dans le campement, se murmure en effet, qu’à Bruxelles, on accueille mieux les réfugiés syriens.

François Hollande a annoncé il y a une semaine que 24 000 réfugiés seraient accueillis en France au cours des deux prochaines années. Or, au campement de la porte de Saint-Ouen on s’étonne des facilités promises aux futurs arrivants, notamment les Syriens en provenance d’Allemagne et notamment accueillis dans un centre à Cergy, quand eux attendent un toit, malgré des demandes d'asile déposées il y a des semaines voire des mois. Au ministère de l'Intérieur, on assure toutefois que tous les demandeurs d'asile déjà présents sur le territoire seront inclus dans le dispositif qui se dessine, le seul préalable étant qu'une demande d'asile ait été déposée en France. "Il n'y a pas deux dispositifs", affirme-t-on. "On va aussi chercher ceux qui sont déjà là." Le dispositif d'accueil des demandeurs d'asile était jusque-là "notoirement sous-calibré", reconnaît-on à l'Intérieur, où l'on rappelle que 4 000 places supplémentaires ont été ouvertes en 2013 et 2014 en centres d'accueil pour demandeurs d'asile (Cada) et que 4 200 autres sont programmées pour 2015.