
Le très discret général Mediène, dit Toufik, a été démis de ses fonctions le 13 septembre, après avoir dirigé pendant 25 ans les puissants services du renseignement algérien, dont il avait fait "un État dans l'État". Portrait.
Pourtant réputé indéboulonnable, le chef des services du renseignement algérien, le général Mohamed Mediène, alias Toufik, a été démis de ses fonctions, dimanche 13 septembre, victime des règles du jeu d’un système dont il était lui-même l’un des piliers.
Un communiqué laconique émanant de la présidence a annoncé que le patron du Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS) avait été "admis à la retraite", à l’âge de 76 ans, à la suite de la décision du président Abdelaziz Bouteflika de le démettre de ses fonctions. Mohamed Mediène, qui était en poste depuis 1990, était pour de nombreux observateurs l’homme fort de l’Algérie. Ce "faiseur de rois" aura survécu à la succession de cinq chefs d'État, qu’il avait contribué à faire élire.
Un mythe et des fantasmes
L’espion le plus mystérieux du pays, cet amateur du ballon rond originaire de la Petite Kabylie cultivait un culte du secret si extrême que les Algériens ont mis longtemps avant de découvrir quelques clichés de celui qui détenait la réalité du pouvoir politique du pays. Certains, amateurs de la théorie du complot, avaient même été jusqu’à imaginer que le tout-puissant général Toufik, jamais visible en public, n’existait pas, et qu’il était une création du régime pour entretenir la crainte "des services".
"C’est un homme discret atteint d’une forte espionnite qui a suscité énormément de fantasmes, à tel point qu’en Algérie, certains n’osaient même pas prononcer son nom, ce qui a contribué à créer un mythe autour de son personnage", explique à France 24 Mohamed Sifaoui, auteur du livre "Histoire secrète de l'Algérie indépendante : L'État-DRS" (Nouveau monde éditions) et l’un des rares journalistes algériens à avoir pu interroger l’entourage du général.
Un espion formé à l'école soviétique
Après avoir passé sa jeunesse à Alger, Mohamed Mediène s’engage à l’âge de 18 ans dans les rangs de l'Armée de libération nationale (ALN), en pleine guerre d'indépendance. Un an avant la fin du conflit, en 1961, il est recruté par le ministère de l'Armement et des Liaisons générales (MALG), qui faisait alors office de service de renseignement de l'ALN. Il compléta ensuite sa formation à l'école du KGB, en Union soviétique, où il est envoyé pour apprendre le métier.
Il occupera ensuite, jusqu’à la fin des années 1980, plusieurs postes au sein de la sécurité militaire, dont celui d’attaché militaire à Tripoli, en Libye. Il intègre au fil des nominations les hautes sphères du renseignement algérien dont il va rapidement gravir les échelons jusqu’au sommet. En septembre 1990, il prend la direction de la sécurité militaire, rebaptisé plus tard Département du renseignement et de la sécurité. Fort de prérogatives étendues, d’un budget colossal et d’une influence sans limite sur la sphère politique, il fait du DRS un État dans l’État. "Le tout avec un sens aigu de l’opacité et de la paranoïa", précise Mohamed Sifaoui.
Le "patron bis" de l’Algérie
Sous prétexte de la dégradation de la situation sécuritaire du pays et au nom de la lutte contre le terrorisme islamiste, le service dirigé par le général Toufik parviendra à exercer un contrôle total sur la société algérienne à travers une présence au sein des institutions, des associations, des médias, des partis politiques, et des entreprises. La légende dit même qu’il avait une fiche sur chaque citoyen algérien.
Toujours est-il que son principal fait d’armes aura été d’empêcher, avec un groupe de généraux, les islamistes du Front islamique du salut (FIS) d’accéder au pouvoir après les législatives de décembre 1991. Avec l’armée, son service sera ensuite en première ligne dans la guerre contre les groupes islamistes pendant la "décennie noire" qui a ensanglanté l’Algérie tout au long des années 1990. "Le général Mediène, une sorte de patron bis de l’Algérie, et le DRS, sont crédités par beaucoup d’Algériens, qui ont peur d’un sursaut du terrorisme, d’avoir protégé le pays de tout un tas de périls internes pendant la décennie noire", explique Karim Amellal, professeur à Sciences-Po et cofondateur du site d’information sur l’Algérie "Chouf-Chouf", sur l'antenne de France 24.
La fin du conflit sanglant des années 1990 intervient après l’élection d'Abdelaziz Bouteflika à la présidence en 1999. Au départ, les relations entre "l’homme au cigare", surnommé ainsi en raison de sa passion pour les barreaux de chaise cubains, et le président qui s’est vu confié le pouvoir par les militaires sont bonnes malgré une méfiance réciproque. D’ailleurs, le maître-espion appuie les candidatures présidentielles d’Abdelaziz Bouteflika en 2004, puis en 2009, après avoir soutenu la révision de la Constitution qui supprimait les limitations de mandat.
Une chute "inéluctable"
Mais à partir de 2013, les choses se gâtent. Le DRS s’en prend à des proches de la présidence accusés de corruption. Pendant la campagne présidentielle pour l'élection de 2014, la loyauté du général est remise en cause par le clan du président qui le soupçonne de chercher à faire barrage à un quatrième mandat de Bouteflika, malade. "Le départ de Mediène constitue l’épilogue d’un processus de reprise en main par le pouvoir civil qui dure depuis deux ans, où il y avait eu plusieurs restructurations, plusieurs départs et mises à la retraite à l’intérieur même des services du renseignement [opérés dans le but de priver de soutiens et d’isoler le général Toufik et un DRS de plus en plus dépouillé de ses prérogatives, NDLR]", décrypte Karim Amellal.
Pour Mohamed Sifaoui, la chute du général Mediène est un non-évènement. "C’était inéluctable, et puis au fond, il s’agit juste du départ d’un des acteurs majeurs du système algérien, qui, lui, va bien rester en place, puisque rien ne va changer. Après cet épisode, le pays ne sera pas mieux gouverné et il n’y aura pas non plus de projet de société viable", insiste-t-il. Et d’ajouter : "Ceux qui ont honoré le général Toufik, seront demain les premiers à l’injurier, ainsi va l’Algérie où les affairistes sont en train de prendre le dessus dans la lutte pour le pouvoir".
Toujours est-il que le camp du président algérien, notamment son frère Saïd Bouteflika, à qui l'on prête une influence grandissante dans les coulisses du pouvoir, a désormais les mains libres pour préparer la succession à la tête de l'État.