Dans un nouveau rapport, l'UNICEF appelle la communauté internationale à agir pour l'éducation des enfants dans les pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord en proie à la guerre. Le risque d'une génération perdue est réel, selon l'organisation.
Ils sont Syriens, Libyens, Yéménites ou encore Irakiens. Alors que dans le monde entier, les enfants ont retrouvé le chemin l'école cette semaine, eux ont raté la rentrée. La guerre les a empêchés de retourner en classe. Pour certains, ils n’ont même jamais connu les bancs de l’école. Au total, ce sont plus de 13 millions d'enfants du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, soit quatre sur dix dans les pays les plus touchés, qui ne sont pas scolarisés en raison des conflits, selon un rapport de l’Unicef rendu public jeudi 3 septembre.
L’agence onusienne, qui se consacre à la protection des enfants à travers le monde, déplore une "situation désastreuse" pour toute une génération. Un état des lieux d’autant plus désolant que la région semblait en passe, "il y a quelques années, d'atteindre l'objectif de l'éducation pour tous", souligne le rapport.
Aller à l’école représente un danger
Plus de 8 850 écoles en Syrie, en Irak, au Yémen et en Libye ne peuvent plus accueillir d'élèves parce qu'elles ont été endommagées ou détruites, abritent des déplacés ou sont occupées par des belligérants, indique le rapport. "La situation est désastreuse dans tous ces pays", déplore Juliette Touma, responsable du bureau de l’Unicef en Jordanie, qui a supervisé la réalisation de ce rapport. "Il y a des enfants syriens qui ne savent pas à quoi ressemble une école, une salle de classe", se désole-t-elle, jointe au téléphone par France 24.
Elle explique notamment que le rapport a été réalisé en collaboration avec les ministères de l’Éducation quand cela a été possible, et le cas échéant, sur la base d’estimations concordantes fournies par différents partenaires de l’Unicef. Il y apparaît que le fait même d’aller à l’école est "plein de dangers". Même si les établissements n’ont pas été détruits ou occupés, les combats et les violences dissuadent les parents d’y envoyer leurs enfants. L'organisation consacrée à l’enfance a ainsi recensé 214 attaques contre des écoles, dans l’ensemble de la région, en 2014.
En Syrie, "le conflit a détruit deux décennies de travail en faveur de l'élargissement de l'accès à l'éducation", déplore encore le rapport, qui indique également que plus de 52 000 enseignants ont quitté leur poste. Les conflits ont par ailleurs considérablement réduit les moyens de subsistance des familles, poussant les enfants à quitter l'école pour travailler dans des conditions difficiles et pour des salaires dérisoires. Des jeunes filles peuvent être mariées dès l'âge de 13 ans pour alléger le fardeau de la famille. Pire encore, privés de scolarité, certains jeunes finissent par rejoindre, volontairement ou non, des groupes armés.
Agir pour éviter une "génération perdue"
"Le risque d’une génération perdue est réel", s’alarme Juliette Touma, qui rappelle qu’il y a deux ans déjà, l’Unicef avait tiré la sonnette d’alarme dans un rapport concernant la seule Syrie. "Aujourd’hui, on est face à une crise de l’éducation dans tout le Moyen-Orient". Pour tenter de l’endiguer, le rapport propose aux gouvernements des pistes concrètes. Il s’agit entre autre de renforcer les méthodes d'enseignement individuel, notamment numériques, et de faire de l'éducation l'une des priorités de l'aide humanitaire, qui y consacre actuellement moins de 2 % du total de ses fonds.
L’Unicef a d'ores et déjà agi avec des organisations humanitaires partenaires, notamment quand les victimes de conflits ont trouvé un refuge. "On construit des écoles dans les camps de réfugiés, d’abord sous des tentes, puis dans des baraquements ", raconte Juliette Touma. " Mais il faut savoir que 70 % des enfants qui ont fui leur pays, habitent hors des camps", précise-t-elle. "Pour qu’ils puissent avoir accès à l’école, nous travaillons en partenariat avec les ministères des pays concernés. L’une des solutions que nous avons trouvées est de dédoubler la journée d’école, par exemple les enfants libanais vont à l’école le matin, les enfants syriens l’après-midi", poursuit-elle. "Dans certains endroits, on a rénové les écoles pour créer de nouvelles salles de classes".
Des solutions qui restent insuffisantes, tant les besoins sont grands, déplore-t-elle. "Il faut plus de moyens et plus d’enseignants ", estime-t-elle encore. Dans les pays voisins de la Syrie, plus de 700 000 enfants syriens ne sont pas à l'école, en particulier en Turquie et au Liban, où les écoles sont surpeuplées et manquent de moyens. Juliette Touma appelle le monde à agir pour l’éducation. "La question est cruciale car cette génération, qui risque d’être perdue, représente les adultes de demain. S’ils ne sont pas éduqués comment pourront-ils avoir les armes pour reconstruire leurs pays dévastés ? ", interroge-t-elle, soulignant que l'absence d'éducation est l'une des principales raisons qui pousse les victimes de conflits à fuir vers un meilleur avenir pour leurs enfants.